Cinéma - Roger Michell s’est fait connaître en 1999 avec le triomphe de Coup de foudre à Notting Hill.
The Duke n’est pas exactement une nouvelle comédie romantique sur la haute société britannique. Son héros habite loin de Londres, à Newcastle, dans le nord de l’Angleterre. Au début des années 1960, Kempton Bunton coule des jours très ternes. Avec sa maigre retraite, il aime boire du thé avec son épouse, écrire des dramatiques qui n’intéressent personne et lire des livres de science-fiction. Accessoirement, il a fait un aller-retour en prison pour avoir refusé de payer sa redevance télé.Pendant ce temps, à Londres, la National Gallery dépense 140 000 livres pour acheter le Portrait d’Arthur Wellesley, duc de Wellington et éviter que l’œuvre ne s’envole dans le coffre d’un magnat du pétrole américain. Pour le conservateur de la prestigieuse institution, il s’agit là d’« un exemple remarquable de la dernière période de Goya ». Dans sa maisonnette, Kempton Bunton n’y voit que la « toile mal fichue d’un ivrogne espagnol ». Selon lui, le Royaume ferait bien de dépenser l’argent du contribuable autrement… et dispenser les retraités de redevance. Le scénario adapte une histoire vraie. Bunton finira par aller voir le fameux portrait dans les galeries du musée… et repartir avec par la fenêtre des toilettes. The Duke n’est pas réellement un film de casse. À l’époque de son larcin, Kempton Bunton avait passé l’âge de courir sur les toits. Cet amusant projet se place dans la lignée des grandes comédies britanniques d’Alexander Mackendrick ou Lewis Gilbert. Jim Broadbent y campe un héros savoureux, qu’aurait pu, en son temps, incarner Sir Alec Guinness. Son Kempton n’est pas un monte-en-l’air, plutôt un charmant vieux râleur. Ses arguments sont-ils recevables ? Peut-on demander aux personnes âgées de payer pour voir des programmes de la télévision publique, tout en dépensant l’argent des impôts pour acquérir des œuvres d’art qui n’intéressent que très peu de contribuables ? Le Royaume-Uni, comme tant de pays, ne possède-t-il pas déjà dans ses collections suffisamment de tableaux ? À travers son larcin, Bunton ne cherchait pas à faire fortune mais à délivrer un message. Il n’a jamais voulu recéler le tableau, ni le garder pour lui-même. Le drôle de voleur comptait se servir du Duke comme d’un otage, l’échanger contre des moyens pour améliorer les conditions de vie du troisième âge en Grande-Bretagne. Roger Michell filme ainsi ce « Duke of Wellington » comme un véritable personnage, aristocrate parachuté dans une modeste maison de Newcastle et dont le regard fixe celui de son ravisseur. En cela Michell signe un film typiquement britannique qui parle moins de peinture ou de Goya que de rapports de classe. The Duke nous rappelle aussi que le cinéma préfère généralement les voleurs aux artistes. Et que les films sur l’art parlent souvent d’argent.
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Un Goya en otage
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°753 du 1 avril 2022, avec le titre suivant : Un Goya en otage