Songye ? Un peuple, une organisation sociale, politique et religieuse, des croyances, une cosmogonie, une statuaire enfin, dont François Neyt, auteur d’un beau livre sur le sujet, déclare qu’elle est « redoutable ».
Né dans l’actuelle République démocratique du Congo, où il a passé une partie de son existence, François Neyt, moine bénédictin titulaire d’un double doctorat en philosophie et en littérature, a enseigné à l’université catholique de Louvain, puis il a poursuivi sa carrière d’enseignant du supérieur en Afrique. Spécialiste reconnu notamment pour ses publications sur les Hemba et les Luba, il invite ici le lecteur à parcourir un« chemin initiatique » parsemé de deux cent soixante-douze sculptures. On peut ainsi appréhender les spécificités stylistiques des différents ateliers et techniques songye au service des « manifestations plurielles des ancêtres ». À côté de la statuaire, l’ouvrage traite également d’autres catégories d’objets porteurs de « signes culturels », dont les harmoniques confirment l’unité de la pensée symbolique propre à cette région, tels « les masques kifwebe ».
Fournissant des informations précises et d’une grande qualité scientifique, cet outil de référence pour historiens de l’art, collectionneurs et amateurs associe le plaisir esthétique et la facilité de lecture. Il faut souligner le travail photographique qui rend hommage à la beauté fascinante et à la puissance d’expression plastique des objets : la plupart des clichés sont en couleurs et en pleine page, et ils présentent chaque œuvre sous plusieurs angles.
Un pareil catalogue, constituant l’essentiel du volume, apporte la démonstration par l’image des résultats de l’étude morphologique et stylistique menée par François Neyt, laquelle le conduit à dégager dix styles régionaux. Cous annelés, clous en laiton, têtes piriformes ou ovoïdes, yeux en amande ou en grain de café, bouches en quartiers de lune sont répertoriés dans le détail. L’isométrie, les dimensions, la gestuelle et les postures sont analysées et déclinées avec minutie.
Cette étude suivie a permis de dépasser l’impossibilité de situer clairement l’appartenance des effigies. Ce n’est qu’en 1964, en effet, que le peuple songye cessant ses courses migratoires s’est établi sur les rives du fleuve Lomami, avec la volonté politique de former une province qui regrouperait tous les Songye : ceux du Maniema, du Kasaï et du Katanga. Mais les contacts répétés, les interactions et influences entre cultures voisines expliquent, comme les conditions de collecte de bon nombre d’objets, une difficulté persistante à localiser les centres de production et l’évolution des styles.
« La figure emblématique de l’ancêtre songye, explique François Neyt, est incontestablement l’ancien, debout, mains posées à plat sur le bas-ventre. Il a traversé les épreuves de l’initiation, il a esquivé les périls des esprits mangeurs d’âme, il s’est concilié les forces de la nature. Sous une calotte crânienne rehaussée d’une croûte terreuse, le visage est actif, les yeux ardents, la parole efficace et protectrice, le menton découpé en rectangle suggère l’appendice barbu de la sagesse. » Mais cette description générique cache une multitude de variantes. En réunissant des pièces issues de collections privées ou de musées tels que Dapper, Tervuren, Berlin-Dahlem, Dresde, Hambourg, Bergen Dal et Anvers, l’auteur a pu donner un aperçu de l’ampleur de la production statuaire des Songye. L’ouvrage a été réalisé à partir d’une sélection de neuf cents sculptures sur cinq milliers environ.
Redoutable aussi parce qu’agissante, la statuaire songye relève d’un processus intellectuel abstrait mêlant valeurs et actions symboliques, que viennent incarner le forgeron, le sculpteur et le nganga (thérapeute). Cet aspect tangible d’une énigme à décrypter se trouve renforcé par des ajouts de matières liées à un système cosmogonique et à des traditions culturelles censées en rendre compte. L’accumulation d’éléments animaux, végétaux, minéraux et humains sont autant d’énergies distinctes qui se conjuguent pour constituer une force active, bienveillante ou nocive, mais toujours impressionnante. Enfin l’ouvrage de François Neyt nous ramène à l’expérience qu’ont vécue en France les artistes du début du xxe siècle. Lorsque Picasso et Braque perçurent la puissance esthétique de ces lames de fer dressées vers le ciel, de ces feuilles de cuivre agrafées sur le visage,
de ces zones ombilicales fermées par un couvercle métallique et remplies d’ingrédients magiques, de ces troncs bardés de fer ou de cuivre, ils s’approprièrent cette puissance en un cubisme synthétique fait de collages intégrant progressivement lettres au pochoir, faux bois, extraits
de journaux et ficelles, toutes transformations inspirées par les statuettes composites d’Afrique centrale.
François Neyt, Songye : la redoutable statuaire songye d’Afrique centrale, éd. Fonds Mercator/5 Continents, 2004, 398 p., 100 euros.
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°561 du 1 septembre 2004, avec le titre suivant : Songye