Cinéma - L’histoire du cinéma, bien que courte, recèle déjà des épaves inexplorées.
Variety fait partie de ces nombreux films que l’on donnait pour perdus dans les limbes du siècle passé. Présenté au Festival de Cannes en 1984, favorablement accueilli par la critique, il passa comme une comète dans les salles de cinéma avant de s’effacer. Bette Gordon, sa discrète réalisatrice, n’a par la suite tourné que trois longs métrages : Luminous Motion en 1998, suivi d’Handsome Harry onze ans plus tard et de The Drowning, une production Netflix, en 2016). Pour la plupart des spectateurs, Variety ressort donc aujourd’hui avec l’éclatd’une nouveauté. En 1983, Christine, jeune New-Yorkaise aspirante reporter, cherche désespérément un emploi. Par l’intermédiaire de son amie Nan, elle se fait engager comme caissière au Variety, une immense salle porno de Times Square. Face à la rue, dos à l’écran, elle perçoit de loin le son des films, attrape ici ou là des bribes d’images et voit défiler les spectateurs. L’un d’eux, Louie, paraît différent du commun des voyeurs. Intriguée, Christine décide de le suivre… Réflexion sur le désir scopique, Variety renverse les codes du film de détective où le privé épie la femme adultère ou criminelle. Témoignage d’un Manhattan à la fois créatif et dangereux, le film se situe aussi au croisement du polar et de la scène artistique du début des années 1980. On y retrouve discrètement l’influence de Sophie Calle. Bette Gordon connaît l’artiste française qui vécut quelque temps chez elle, à New York. Calle travaille à l’époque sur sa Suite vénitienne, une série de photos et de textes autour de la filature d’un homme entre Paris et Venise qui inspirera Variety. Le scénario est coécrit par Kathy Acker. Poétesse et performeuse subversive, auteure notamment de Sang et Stupre au lycée, elle a travaillé comme strip-teaseuse dans le quartier du film. La bande originale est signée John Lurie. Ce musicien culte de la scène underground peint et dessine déjà, mais il n’exposera qu’à partir des années 2000. Surtout, le rôle de Nan est tenu par Nan Goldin. Arrivée à New York en 1978, la jeune photographe est encore barmaid au Tin Pan Alley (où l’artiste Kiki Smith officie en cuisine). Bette Gordon filmera l’endroit dans Variety. On y voit Nan derrière son bar, entourée de quelques figures d’un quartier encore bohème : artistes, maquereaux, alcoolos et prostituées. Outre un petit rôle, Bette offre à son amie un travail de photographe de plateau. Cependant, Goldin, plus qu’un tournage, captera un instant de sa vie et de son époque. Ces images assemblées dans un livre (édité par Rizolli) portent le titre du film : Variety. On y retrouve les couleurs de New York brûlées par les néons de Broadway, ce sentiment de suivre des corps et des âmes à la dérive de la nuit. Près de quarante ans après son passage fugitif dans les salles de cinéma, Variety a cessé d’être tout à fait une fiction. Avec le temps, l’œuvre de Bette Gordon est aussi devenue un document troublant sur une ville et une jeunesse disparues, le générique d’une époque.
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Nan Goldin sous les néons de Broadway
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°755 du 1 juin 2022, avec le titre suivant : Nan Goldin sous les néons de Broadway