En s’appuyant sur quelque 126 ouvrages, Yves Peyré met en lumière et analyse la rencontre de la peinture et de la poésie, au sein d’un même espace : le livre, depuis Mallarmé et Manet, en 1874, jusqu’à Butor et Alechinsky.
Les nombreuses illustrations permettent d’alléger un propos parfois un peu obscur.
Tzara et Arp, Cendrars et Léger, Breton et Giacometti, Leiris et Masson, Char et de Staël, du Bouchet et Giacometti, Michaux et Matta, Debard et Jorn, Cioran et Alechinsky... Yves Peyré rend hommage à ces couples de créateurs – un poète et un artiste –, réunis le temps d’un livre, un “livre de dialogue, précise-t-il, formule que je préfère de beaucoup à celle de ‘livre illustré’, plus sujette à contresens et à réduction”. Avant de dresser un bilan de la pratique du livre de dialogue, “née entre 1874 et 1876 dans un élan fondateur suscité par deux poètes visionnaires, Charles Cros et Mallarmé, et un peintre voyant, Manet”, l’auteur précise quelle est la nature exacte de cet ouvrage. Celui-ci n’est ni un “livre à figure”, où l’illustration reste inféodée au texte, ni un “album”, dans lequel texte et illustration restent chacun à leur place, encore moins un “livre de peintre”, où l’écriture n’a de rôle que décoratif, mais bien un “dialogue entre l’écrit et l’image [...] cet espoir, cette utopie, cette expérience d’un entrelacs des extrêmes”. Parmi les livres marquants du début du XXe siècle figurent L’Enchanteur pourrissant (1909) réunissant Apollinaire et André Derain, édité par Kahnweiler, et La Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France. Réalisé par Cendrars et Sonia Delaunay, ce dernier est un véritable dépliant de deux mètres de long, sur lequel les lignes d’écritures et les cercles de couleurs s’emmêlent et s’enchaînent comme une spirale infinie. Le Cubisme et le Dadaïsme s’emparent successivement du livre de dialogue, avant que le Surréalisme ne l’annexe définitivement au début des années 1930, avec des ouvrages tels C’est les bottes de 7 lieues cette phrase ‘je me vois’ de Robert Desnos et André Masson, Dormir dormir dans les pierres cosigné par Benjamin Péret et Yves Tanguy ou encore le plus tardif Fata Morgana réunissant André Breton et Wifredo Lam. Mais, c’est dans les années 1950 que, selon Yves Peyré, “le livre du dialogue atteint sa plénitude”. En 1952, Char et de Staël scellent ainsi leur amitié dans un magnifique recueil, Poèmes, tandis que Fernand Léger s’empare du texte de son ami Eluard pour clamer Liberté j’écris ton nom, “ [...] Sur toute chaire accordée / Sur le front de mes amis / Sur chaque main qui se tend [...] Et par le pouvoir d’un mot / Je recommence ma vie / Je suis né pour te connaître / Pour te nommer / Liberté”. Mais, laissons à Max Jacob les mots de la fin, extraits des Œuvres burlesques et mystiques de frère Matorel mort au couvent (1912), qu’il réalisa avec André Derain : “O malheureux poète sans gloire et sans espérance [...] tais-toi, voix qui me parle si haut ; ne déchire pas à coup de clairon l’illusion qui cèle ma vie ! Je ne veux entendre la vérité qu’à demi, je ne veux la voir qu’à demi, Tais-toi ! voix qui parle si haut !”
- Yves Peyré, Peinture et Poésie, le dialogue par le livre, éd. Gallimard, 272 p., 393,25 F (59,95 euros), ISBN 2-07-011 688-3.
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L’union du mot et du signe
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Abonnez-vous dès 1 €S’appuyant sur le livre d’Yves Peyré, l’exposition “Peinture et Poésie”?, à la Bibliothèque de la Part-Dieu, à Lyon (tél. 04 78 62 18 00, jusqu’au 19 janvier), met en exergue les moments importants de cette rencontre de deux expressions artistiques, à travers une sélection de 126 ouvrages. Provenant essentiellement de la Bibliothèque littéraire Jacques-Doucet, dont Yves Peyré est directeur, les pièces présentées iront ensuite rejoindre la chapelle de la Sorbonne, à Paris, de mars à juin 2002, puis la Public Library de New York à l’automne 2004.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°139 du 21 décembre 2001, avec le titre suivant : L’union du mot et du signe