« Appelle-moi quand tu veux, mais rapidement », écrit un chat, dessiné par Tomi Ungerer, en réponse au projet de documentaire soumis en 2008 par le réalisateur Brad Bernstein.
Après des heures d’entretiens entre la France, l’Irlande et les États-Unis, le film sort quatre ans plus tard. Son réalisateur, trop jeune pour avoir été biberonné aux livres de Tomi, est content d’avoir rencontré le bonhomme dans sa huitième décennie, plutôt qu’à l’âge de 40 ou 50 ans : il devait alors être une terreur. Homme de caractère, celui qui a obtenu en 1998 le prix Andersen (l’équivalent du Nobel pour la littérature enfantine), est un homme à la conscience aiguë, militant né, façonné par la tragédie de l’Histoire et qui aime à rappeler, d’un œil amusé, qu’il faut traumatiser les enfants.
Le documentaire « Tomi Ungerer, l’esprit frappeur » qui lui est consacré retrace son parcours ; de l’Alsace sous l’occupation nazie de 8 à 12 ans, où il devra apprendre l’allemand en quatre mois et subir l’endoctrinement, aux États-Unis où il débarque en 1956, et où il connaîtra la gloire et le déclin. Censuré durant vingt-cinq ans aux États-Unis, il partira alors au Canada avant de trouver « le pays que [il] cherchai[t], l’Irlande », où il s’établit en 1976. La cigarette vissée au bec, aujourd’hui âgé de 82 ans, ce vieux monsieur attachant garde son humour grinçant, parfois cru, et brillant.
Homme des extrêmes, il excelle dans l’univers jeunesse autant que dans le domaine érotique ou politique ; il porte un regard acerbe, voire poignant, mais toujours juste, sur la ségrégation aux États-Unis (en 1956), ou la guerre du Vietnam. À se demander ce qu’il dessinerait sur Guantánamo. « Modeste arrogant » comme il se définit, traitant ses dessins de « petits bâtards », l’éclectique Ungerer aime travailler sur la notion de bien et de mal, ainsi que sur la peur. Et bousculer les normes, jusqu’à pousser le bouchon un peu trop loin pour certains esprits puritains américains. Ce qui lui vaudra son déclin un jour de 1971 alors que l’on découvre dans un salon du livre pour enfants que, derrière ses trois domaines de prédilection (cités plus haut), figure le même géniteur. Traité de pervers à la maternelle, enragé, sa réponse sera cinglante : sans la baise, pas d’enfant. Et sans enfant, pas de travail pour vous. Il est dès lors officiellement banni de toutes les bibliothèques américaines.
Dans ce documentaire bien filmé, riche en archives et témoignages de proches d’Ungerer, le réalisateur a, au début du film, le pied un peu lourd sur les animations réalisées à partir des dessins de l’auteur, et une tendance au montage survolté. Heureusement, le film trouve ensuite son rythme – sinon sur la fin, qui peine à choisir entre plusieurs chutes. Il reste absolument à voir !
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Libre comme Ungerer
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €DVD, 2013, éd. France Télévisions Distribution, 98 min, 19,99 €. À noter, la sortie du dessin animé « Jean de la Lune » adapté de son livre éponyme.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°393 du 7 juin 2013, avec le titre suivant : Libre comme Ungerer