Plusieurs essais interrogent l’usage sonore dans les art plastiques.
Étranges paradoxes que ceux de l’édition : alors que l’on entend si souvent annoncer que rien ne va plus dans le livre, il se trouve toujours des énergies neuves pour mettre en route des projets éditoriaux. Il est vrai que les « grosses » maisons laissent sur le bord du chemin les projets dont l’ambition ne répond pas aux exigences de rentabilité, et l’essai sur l’art appartient bien souvent à cette catégorie. Le catalogue de Monografik éditions a pris forme en 2007, avec déjà 35 titres publiés (www.monografik-editions.com), sur un principe classique de livres produits pour et avec des institutions d’art — catalogues d’exposition et autres monographies —, en affichant une grande ouverture sur l’architecture, le design et le graphisme, et précisément l’essai. Si Images-mondes conforte les positions de deux auteurs reconnus – Paul Ardenne et Régis Durand – autour du rôle de la photographie, de sa valeur documentaire et de son éthique sous la forme active de la discussion critique, Planètes sonores touche plus encore à des enjeux de création et de réflexion vifs : la sphère sonore, en effet, apparaît de plus en plus clairement comme sujet d’intérêt pour les plasticiens, et un objet théorique important, parce qu’attaché à des domaines d’expérience instables et multiples. Alexandre Castant, critique, essayiste et enseignant, trace des perspectives d’analyse au travers de trois d’entre eux : la radiophonie, l’usage du sonore par les arts plastiques et le son au cinéma. C’est, à vrai dire, plutôt que de tenter d’identifier une essence isolée du sonore, dont la consistance est à la fois fragile et puissante dans l’expérience sensorielle du monde, l’auteur l’analyse au travers des recroisements, correspondances et analogies qui ne manquent pas dans le champ large de pratiques où le sonore trouve sa place. Entre les références théoriques incontournables (Pierre Schaeffer, Abraham Moles, T.W. Adorno...) et les réflexions d’un Dan Graham sur le rock et en passant par les écrits littéraires, le livre, sans chercher à tout contenir dans le filet d’une théorie, pointe sur les pratiques de l’art moderne et contemporain (de Russolo à Gary Hill), en débordement permanent vers le cinématographique et bien d’autres formes, et cela avec une jubilation dont son écriture elle-même rend souvent compte.
Écoutes sensibles
On signalera aussi, moins récentes, les publications ou rééditions de deux livres importants, que d’ailleurs Castant cite à son tour, et qui prennent la réalité sonore par deux angles bien différents : Daniel Deshays, ingénieur du son, amené à écrire sur le sonore à partir d’une réflexion et d’une pratique, proche de la musique, mais aussi du son au cinéma, à la radio et porté par la nécessité pédagogique (entre autres à l’École supérieure des beaux-arts de Paris), a repris en 2006 sa réflexion Pour une écriture du son. Outre que la collection 50 questions des éditions Klincksieck revendique l’approche didactique, la réflexion de Deshays est toujours fondée sur une expérience concrète du sonore, mise en mot de manière très probante, en prise directe sur la sensation et sur sa mise en mot. Le Sur écoute de Peter Szendy, musicologue et universitaire, est dans le prolongement de son travail avec Écoute. Une histoire de nos oreilles, paru en 2001 chez Minuit, montre comment depuis le réseau d’espionnage américain (Echelon) qui veille sur le monde à l’« architéléphonie » selon le mot de l’auteur qui est à l’œuvre dans La Flûte enchantée, il en va avec l’écoute d’une dimension anthropologique négligée. Délaissée mais à laquelle cependant l’esthétique contemporaine se doit de faire place, parce que le son prend et prendra une place de plus en plus évidente dans les productions artistiques, mais aussi car il est à ce jour l’un des derniers grands territoires sensibles que néglige notre aesthesis commune. À preuve, s’il en fallait, que rien du sonore, entre les entrées Musique et Synesthésie, ne trouve sa place dans le Dictionnaire d’esthétique qui paraît chez Colin avec un brillant ensemble de quelque 80 rédacteurs, qui a certes bien d’autres mérites à moderniser le vocabulaire (encore trop) restreint de la discipline, mais demeure très académique quant au champ qu’il s’autorise.
- Paul Ardenne et Régis Durand, Images-Mondes, de l’événement au documentaire, Monografik éditions, Blou, 2007, 168 p., 25 euros, ISBN 978-2-916545-27-1. - Alexandre Castant, Planètes sonores, radiophonie, arts, cinéma, Monografik éditions, Blou, 2007, 208 p., 25 euros, ISBN 978-2-916545-40-0. - Daniel Deshays, Pour une écriture du son, éditions Klincksieck, coll. 50 questions, Paris, 2006, 194 p., 13,50 euros, ISBN 2-252-03565-X. - Peter Szendy, Sur écoute, esthétique de l’espionnage, éditions de Minuit, collection Paradoxe, Paris, 2007, 160 p., 19 euros, ISBN 978-2-7073-1985-2. - Jacques Morizot, Roger Pouivet (direction d’ouvrage), Dictionnaire d’esthétique et de philosophie de l’art, éditions Armand Colin, Paris, 2007, 480 p., 35 euros, ISBN 978-2-2003-4659-1.
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Le sonore et ses formes
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°272 du 4 janvier 2008, avec le titre suivant : Le sonore et ses formes