L’ouvrage « Poétique du patrimoine » tient lieu de bilan critique pour des politiques patrimoniales confrontées à des changements de tous ordres. C’est aussi un plaidoyer pour un patrimoine humaniste.
Narcisse, absorbé dans un reflet renvoyant à sa propre identité, ou Ulysse, guidé par l’appel du large et de l’altérité. Voilà, selon les auteurs d’une Poétique du patrimoine parue aux éditions Honoré Champion, les deux métaphores mythologiques permettant de classer les expériences du patrimoine. De l’une à l’autre, Xavier Greffe et Anne Krebs-Poignant, respectivement président de Patrimoine sans frontières et responsable des études socio-économiques au Louvre, proposent une Odyssée patrimoniale.
Pour défendre cette vision d’un patrimoine apte à construire des identités, plutôt qu’à conforter celles-ci dans un narcissisme, les deux auteurs associent à une réflexion historique et philosophique l’examen critique d’expériences récentes, dont ils multiplient les exemples pour nourrir leur raisonnement. Le constat d’un monde en mutation forme le point de départ de l’ouvrage, et chacun des chapitres permet d’aborder l’un des aspects de l’influence de cet univers mouvant sur le patrimoine : le regard sur ce patrimoine, l’évolution de ses usages et de l’expérience que l’on en fait, la transformation des institutions.
Rencontrant inévitablement des sujets polémiques, cette Poétique du patrimoine ne donnera pas dans la surenchère. Il est agréable de lire ici un texte traitant de sujets comme l’adaptation du patrimoine au numérique ou l’aliénation du patrimoine africain sans verser dans un enthousiasme débridé (numérique) ni une angoisse d’ordre moral (patrimoine africain). En pensant les termes du débat à partir d’expériences réussies, mais aussi d’autres plus mitigées, l’ouvrage ouvre à une réflexion pragmatique – malgré ses tournures parfois jargonneuses – et ne livre aucune solution toute faite.
Formulation de propositions
Dans le quatrième chapitre, l’« attention » est définie comme étant le moteur de l’expérience patrimoniale, ce qui donne un éclairage nouveau aux listes, labels, politiques de démocratisation culturelle, pensées comme autant de facteurs attirant l’attention sur le patrimoine et, ce faisant, le maintenant vivant. Cet apport théorique permet de faire une place au patrimoine au sein de « l’économie de l’attention », évoquée en creux, à laquelle recourent les annonceurs publicitaires comme les réseaux sociaux. Sur la notion de « biens communs », ou celle de « défi épidémique » auxquelles le patrimoine est confronté, l’étude élargit également le champ de la réflexion. Les auteurs se permettent même parfois quelques propositions, dont l’une pourra retenir l’attention : l’idée d’un double classement, l’un accordé aux valeurs intrinsèques d’un bien patrimonial, l’autre à sa bonne préservation et sa gestion vertueuse, délivré plus tard. S’il ouvre le champ des possibles, Poétique du patrimoine peut également se lire comme un manuel compilant de manière fouillée et documentée un certain nombre de faits patrimoniaux saillants, de l’Open Museum de Glasgow au « nettoyage » des bidonvilles du site de Lalibela en Éthiopie. Une ressource précieuse pour tous ceux souhaitant pérenniser, actualiser, et donc « patrimonialiser » cette idée de patrimoine.
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Le patrimoine face aux mutations du monde
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éd. Honoré Champion, coll. « Histoire culturelle de l’Europe », 2021, 332 p., 55 €.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°605 du 17 février 2023, avec le titre suivant : Le patrimoine face aux mutations du monde