Ce récit inédit d’un officier allemand n’apporte pas de grandes révélations.
Dans sa communication publicitaire accompagnant la sortie de l’ouvrage, l’éditeur annonce un « témoignage qui éclaire d’un jour nouveau et troublant les relations des “gloires françaises de la peinture et de la sculpture” avec l’occupant nazi ». L’intérêt est encore plus éveillé quand on apprend qui est l’auteur de ce témoignage et quelle est l’histoire du manuscrit. Werner Lange est un jeune officier allemand de la Wehrmacht, historien de l’art dans le civil, qui durant l’Occupation surveille le secteur des arts plastiques, notamment en accordant les autorisations pour les expositions. Par ailleurs, « Je devais espionner tout le monde et mettre mon nez partout », écrit-il dans ses mémoires-témoignages. Après la guerre, il revient s’installer en France et décède (par suicide pour une histoire d’amour selon l’éditeur) dans les années 1980. Le manuscrit passe d’un propriétaire à l’autre, « dort dans une armoire » pendant des années et en ressort en octobre 2014.
Mais en refermant la dernière page, on est un peu déçu, le livre ne fait pas de grandes révélations. Écrit bien après la guerre et l’épuration qui a suivi, ce témoignage, d’une écriture très scolaire, s’efforce de ménager ses amis artistes. Werner Lange lui-même n’a rien d’un affreux occupant. Cultivé, francophile, le plus souvent en civil, il passe le plus clair de son temps à aider ses amis et les sortir des situations difficiles. Il donne volontiers son accord pour les expositions, fournit des tubes de peintures (ainsi du blanc à KeesVan Dongen qui en faisait une grande consommation), du vernis à Jacques Jaujard pour la Joconde et même du charbon à ceux qui ont froid ou des papiers pour aller en zone libre. D’une certaine façon, il se comporte même en « résistant » (c’est en tout cas ce qu’il aimerait que l’on pense). Il sauve le galeriste Emmanuel David d’une rafle possible – car son nom sonne comme un nom juif – ou le galeriste Jean de Ruaz du service du travail obligatoire. Il se donne même le rôle principal dans la libération de Dina Vierny affirmant avoir reçu un message de la muse de Maillol ainsi rédigé : « Werner, je suis emprisonnée à Fresnes. Venez vite me sauver. Dina ». Ce que confirme en partie Dina Vierny dans son entretien autobiographique (Gallimard, 2009). Lange, qu’elle appelle Lang dans l’entretien, est bien venu la chercher à la Gestapo, mais c’est Arno Breker qui l’aurait envoyé. Autre détail curieux, s’il organise le célèbre Voyage en Allemagne, il n’a pas le droit d’accompagner les artistes pendant leur séjour.
Au fond ce qui est « troublant » a souvent été raconté, mais prend sous sa plume une valeur singulière et dérange : Paris, pendant les années noires continue à faire la fête. Les théâtres sont complets, les chanteurs à succès continuent à se produire, les galeries organisent des expositions, les restaurants du marché noir prospèrent. Français et Allemands fréquentent ensemble ces lieux, plus, ils se lient d’amitié. Ainsi Werner Lange est très proche de Rudier, le fondeur, de Vlaminck ou de Maillol chez qui il déjeune ou séjourne fréquemment. C’est lui qui amène Arno Breker chez Maillol à Banyuls en 1943. On comprend bien qu’artistes et galeristes ayant besoin de son imprimatur, il pouvait se créer à la longue des amitiés. Lange en rajoute peut-être, n’oublions pas que le livre est écrit deux décennies plus tard. Mais le tableau qu’il dépeint fait réfléchir et l’on s’interroge sur l’attitude des uns et des autres.
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L’art sous l’Occupation
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Abonnez-vous dès 1 €Werner Lange, les artistes en France sous l’occupation, Éditions du Rocher, 170 pages, 17,90 €.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°432 du 27 mars 2015, avec le titre suivant : L’art sous l’Occupation