L’époque romane est probablement la plus populaire de toutes les périodes de l’histoire de l’art. Elle parle plus au cœur des Français que l’Impressionnisme, dont on connaît pourtant le poids médiatique.
Elle l’est depuis longtemps et l’intérêt qui s’y attache se fonde sur des "vouloirs artistiques" qui ne doivent rien à la mode : goût de l’intimisme, de l’austérité, du matériau naturel, de l’intégration dans le site, etc…Ces données ont beau ne pas caractériser pleinement l’art roman, néanmoins c’est dans celui-ci que l’opinion prend plaisir à les reconnaître idéalement.
Pourtant, la bibliographie sur le roman est rare : à peine paraît-il un ouvrage par décennie sur le sujet. Depuis L’Art roman que Marcel Durliat a publié en 1982, tout juste peut-on compter le catalogue de l’exposition organisée par Léon Pressouyre à la Conciergerie en 1990 sur Saint Bernard et son temps, dont le succès avait été considérable. La parution de L’Art roman en France. Architecture, peinture, sculpture, d’Éliane Vergnolle, professeur d’histoire de l’art à l’université de Besançon et spécialiste de la période, est donc un événement en soi. Beau livre, au texte clair, à l’illustration aussi abondante qu’agréable à regarder, doté d’un glossaire à l’usage du profane et d’instruments érudits à la disposition du spécialiste. Bref, un ouvrage de synthèse destiné au grand public cultivé, à l’étudiant comme à ses maîtres.
Féodalité centrifuge et royauté
Grosso modo, l’étude d’Éliane Vergnolle couvre une période qui va, pourrait-on dire, de 987, sacre de Hugues Capet, à 1214, bataille de Bouvines par laquelle Philippe-Auguste assoit solidement le pouvoir royal. Contrairement à la fin de la période carolingienne qui voit se disloquer l’unité impériale et au XIIIe siècle qui marque l’apogée des capétiens, les XIe et XIIe siècles – ce dernier surtout – se caractérisent par une tension politique qui oppose la féodalité centrifuge à la royauté qui étend son pouvoir. Époque très dynamique, marquée par un essor démographique important, les guerres et les croisades, au point qu’on a pu écrire que le grand siècle n’était pas le XIIIe siècle, mais le XIIe. Il faut avoir tout ceci en tête pour comprendre comment l’art roman a pu être aussi divers, multiple, contradictoire et pourquoi, malgré tout, on a désigné de cet épithète unificateur : "roman", les productions artistiques de cette époque répondant à certains critères.
Quels critères ? La question est difficile. "Roman" a été employé en 1818 en opposition au "gothique" : d’un côté, les productions dans la tradition romaine ; de l’autre, celles qui répondraient à une influence germanique. À cette définition aussi inexacte que floue a succédé une autre, quelque trente ans plus tard : puisque le gothique se caractérise par une formule constructive, l’arc d’ogive, les constructions antérieures prendraient le qualificatif de roman, sans d’autres critères formels que le plein cintre et la bande lombarde. Mais ces explications d’un rationalisme positiviste étaient trop simples : on sait aujourd’hui que la croisée d’ogive ne caractérise pas le gothique et qu’il existe même en Alsace et en Lorraine un art roman, qui adopte ce principe ; que le gothique ne succède pas au roman mais que l’un et l’autre ont été longuement concomitants ; que l’évidement du mur et la démultiplication de l’espace ne sont pas réservés au gothique, mais qu’on rencontre de telles recherches en Normandie ; que le plan des cathédrales gothiques s’inspire largement de formules mises au point de l’époque romane. Alors, qu’est-ce que le "roman" ? Le "roman" existe-t-il ?
Narcissisme de modernité
Se poserait-on la question à propos du XXe siècle ? Comment définirait-on une époque aussi diverse, dont on sent pourtant l’unité sans savoir l’exprimer ? Il en va de même pour l’époque romane. À lire l’ouvrage d’Éliane Vergnolle, on comprend combien les zélateurs de l’accélération de l’histoire sont affligés d’un déplorable narcissisme de modernité. À s’en tenir aux productions religieuses, puisqu’ont été laissées de côté les constructions civiles et militaires, on est frappé de voir à propos d’un programme précis, le lieu de culte, combien sont multiples les formules constructives – de la charpente au berceau brisé en passant par la coupole et le plein cintre –, les recherches en matière de plan et de fonctionnalité, les théories esthétiques – du culte clunisien de la beauté à l’apologétique par l’image en passant par l’aniconisme cistercien.
L’art roman, un art jeune, inventif, se renouvelle constamment, puisant "sa force dans la dialectique des contraires."
Éliane Vergnolle, L’Art roman en France, Flammarion, 384 p., 350 ill. noir et blanc, 60 ill. en couleur, 375 F jusqu’au 30 juin, 450 F ensuite.
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L’art roman, multiple et contradictoire
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°4 du 1 juin 1994, avec le titre suivant : L’art roman, multiple et contradictoire