Prônant une esthétique positive, Michel Onfray développe dans son dernier
ouvrage une alternative au « devenir chrétien de l’art contemporain ».
À l’heure où les paquets de cigarettes exhibent la menace mortelle qu’ils recèlent, il serait prudent de mettre en garde les anorexiques, les constipés, mais aussi les spiritualistes et les apôtres du « devenir chrétien de l’art contemporain » (lire le JdA n° 174, 22 juin 2003), du danger auquel les expose l’Archéologie du présent de Michel Onfray. Alors que les philosophes les plus prisés des amateurs d’art contemporain l’accablent de pamphlets, celui qui, ostensiblement, néglige la vitesse des jets et l’ivresse de la communication à haut débit pour les poulets de Diogène et les pourceaux d’Épicure peut nous laisser craindre le pire. Et le pire n’est pas loin d’advenir ! L’ouvrage, pour sa première partie, ressemble à un jeu de massacre. Allègrement, Michel Onfray entreprend de « nettoyer les écuries d’Augias » de l’art contemporain. Après beaucoup d’autres, il stigmatise sa « conceptualisation outrancière », son ascétisme, qui soustraient les œuvres au plaisir des sens. Il accuse ses manifestations régressives, sa violence gratuite, son accommodement du martyr et du sacrifice. Il s’en prend à son « narcissisme », à sa « complaisance solipsiste » qui réduit le monde au « petit nombril » de l’artiste. Au passage, comme il se doit, l’auteur dénonce la puissance d’un marché dont l’action conduit au formatage des œuvres, à la servitude productrice des artistes. Le kitch contemporain (celui de Koons, de Séchas) est renvoyé au goût petit-bourgeois des parvenus qui le promeuvent et le collectionnent. Comme Nietzsche qui philosophait à coups de marteau, Michel Onfray esthétise à la tronçonneuse. Il condamne la « thanatophilie », la dilection morbide d’un Marc Quinn (qui façonne son portrait à l’aide de plusieurs litres de son sang), d’un Zhu Yu (qui se photographie consommant un embryon mort-né) ou d’un Damien Hirst.
Ce réquisitoire serait assez banal s’il ne faisait l’objet d’une mise en perspective théorique, s’il n’était suivi d’une apologie d’artistes, appartenant de plein droit à l’« art contemporain » (à la différence de tant d’ouvrages publiés ces dernières années, dont les conclusions sombraient lamentablement dans la célébration de techniques ou d’artistes « exotiques » au regard des catégories contemporaines). Le Manifeste de Michel Onfray n’est pas un pamphlet de plus « contre l’art contemporain » mais contre certaines de ses tendances, jugées autistes, dépressives, mortifères. L’auteur enrôle Delvoye, Hains, Haacke, Cattelan, Orlan, Huang Yong-Ping et Barney dans sa croisade « cynique ». Tous célèbrent un corps glorieux, véhicule éphémère, indemne de toute métaphysique. Les corps « plastinisés » de Gunther von Hagens constituent, pour Onfray, l’antidote aux corps putréfiés et souffrants du body art et de ses avatars. L’ironie de Raymond Hains, ses coq-à-l’âne verbaux démontrent que le paradoxe est plus stimulant pour l’esprit que les glossolalies des discours sur l’art. Les figures d’oxymores de Cattelan court-circuitent quant à elles toutes les exégèses, comme les aphorismes, les Witz (mots d’esprit) de Diogène dynamitaient en son temps les discours des sophistes. Et quels antidotes plus efficaces aux valeurs abstraites et conceptuelles que le Cloaca de Wim Delvoye, machinerie complexe, vouée à produire des étrons !
L’art que Michel Onfray appelle de ses vœux est un art politique. Un art qui pointe les contradictions du pouvoir, économique ou politique. Celles d’Eduardo Kac, d’Orlan et de Matthew Barney, qui transposent dans l’espace public les questions que la biologie contemporaine voudrait confiner derrière les portes de ses laboratoires. Il y a quelque héroïsme (quelque naïveté « romantique » ?) à vouloir rédiger pour l’art contemporain un nouveau manifeste. Celui que nous propose Onfray a le mérite d’offrir une alternative tonique aux publications récentes, soucieuses de démontrer le possible devenir chrétien de l’art contemporain. À ces thèses mélancoliques, qui donnent de la création récente l’image d’une longue dépression, L’Archéologie du présent oppose les valeurs d’un art actif, réaliste, politiquement, socialement responsable. Un art qui célèbre la vie, ici et maintenant et qui préfère, définitivement, l’ivresse des sens à la continence, au régime sec des apôtres des spiritualités nouvelles.
Michel Onfray, Archéologie du présent. Manifeste pour une esthétique cynique, Paris, éditions Adam Biro/Grasset, 2003, 30 euros. ISBN-2-87-660382-9.
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L’art contemporain à l’épreuve du cynisme
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°180 du 7 novembre 2003, avec le titre suivant : L’art contemporain à l’épreuve du cynisme