Comment se construit l’apparence, comment passe-t-on de l’ombre au corps, où commencent les seins ? Trois essais, trois approches différentes de la réalité du corps humain tel qu’il est dépeint.
La découverte, l’analyse et la conscience du corps, autrement dit l’invention du corps dans son acception moderne, se font peu à peu jour au cours du Moyen Âge. Odile Blanc ne donne pas à son essai, aux ambitions modestes, un cadre anthropologique où le corps de mode aurait été un symptôme et un témoignage de premier plan. Analysant l’iconographie des miniatures des manuscrits à partir du XIVe siècle, dans des ouvrages aussi célèbres que Les Très Riches Heures du duc de Berry, elle détaille minutieusement l’évolution des formes, des textures et leur signification sociale. Bien entendu, le corps de mode n’est une simple affaire d’élégance : se développe avant la Renaissance une rhétorique des apparences qui suit de près les valeurs aristocratiques contemporaines.
Cette dimension sociale a certes toute son importance mais ne constitue que la partie émergée de l’iceberg. Le corps devient progressivement l’objet d’une science qui prend en charge la complexité de l’organisme et se dote des moyens d’en soigner les dysfonctionnements. Il va de soi que les inventions plastiques qui construisent l’espace moderne de la représentation ont partie liée avec les progrès de la médecine. On peut difficilement ignorer ce lien essentiel dans une histoire de la représentation de l’homme, pas plus qu’on ne saurait faire l’économie des arguments théologiques. Pas plus que celui d’Odile Blanc, et malgré la richesse du matériau, l’essai de Nadeije Laneyrie-Dagen n’offre les éléments d’une compréhension nouvelle de la question.Il s’en remet le plus souvent à des descriptions successives que ne justifie pas une problématique claire.
Qui trop embrasse mal étreint. Philosophe, Jean-Luc Nancy a de bonnes raisons de se méfier des grands récits. En même temps que Hegel, inquiétude du négatif, il publie un curieux essai consacré aux seins, qui oscille entre réflexion spéculative et dérive poétique. Le sein n’est pas un objet d’étude, mais un prétexte. “Prétexte : ce qui est mis en avant, ce qui est tissé devant, la bordure d’une étoffe, dentelle, galon, lisière ou frange – ce qui borderait et broderait un mince vêtement de soi.” De Zurbarán à Truffaut, d’Homère à Samuel Beckett, l’auteur s’échappe délibérément des contraintes académiques et de la valeur d’usage conventionnelle de l’histoire.
- Odile Blanc, Parades et parures, L’invention du corps de mode à la fin du Moyen Âge, éditions Gallimard, collection "Le temps des images", 240 p., 180 F.
- Nadeije Laneyrie-Dagen, L’invention du corps, la représentation de l’homme du Moyen Âge à la fin du XIXe siècle, éditions Flammarion, 256 p., 450 F.
- Jean-Luc Nancy, La naissance des seins, éditions Erba, collection "222", 88 p., 85 F.
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La chair et les signes
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°35 du 4 avril 1997, avec le titre suivant : La chair et les signes