« Ce que je n’ai pas dessiné, je ne l’ai pas vu », écrivait Goethe. Phrase prémonitoire si on la rapporte
à Zoran Music, né en 1909 aux confins de l’Empire austro-hongrois et déporté à Dachau en 1944,
d’où il revint pour s’installer définitivement à Venise. Ni biographie, ni analyse linéaire de ce que peut être l’art dans le combat éternel de l’homme contre l’humiliation et la négation de son être, le livre de Jean Clair est formé d’une suite de réflexions et de la synthèse de quatre entretiens avec Music en 1998. A l’origine, une question : comment considérer les dessins que Music fit à Dachau et qui resurgiront dans son œuvre à partir des années 70, sentinelles exigeantes de la mémoire des camps ? Le peintre les réalisa au péril de sa vie, avec des moyens de fortune, page arrachée à un registre, bout de crayon volé à un gardien, encre diluée jusqu’à l’invisible. La plus grande partie d’entre eux ont été détruits lors de la libération de Dachau. Doit-on les considérer comme des témoignages ou des œuvres d’art, ces croquis qui montrent l’indescriptible : les cadavres empilés, les fours crématoires, les pendaisons... A nous de débrouiller les fils. A la fois résistance désespérée de la vie (et l’art est un précieux allié contre la mort), hommage à ces morts sans sépulture sur la nudité scandaleuse desquels « le peintre pose le voile miséricordieux de son regard », et aussi refus absolu de l’entreprise de « défiguration » menée par les nazis. « J’ai fait ce que j’ai vécu intérieurement (...) Je suis peintre, que pouvais-je faire d’autre ? », dira Music. Montaigne déjà, l’avait pensé : « Chaque homme porte en lui la forme entière de l’humaine condition ».
- Jean Clair, La barbarie ordinaire, Zoran Music à Dachau, éd. Gallimard, 176 p., 85 F.
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La barbarie ordinaire
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°527 du 1 juin 2001, avec le titre suivant : La barbarie ordinaire