Henri Zerner, professeur d’histoire de l’art à Harvard et auteur de L’Art de la Renaissance en France, publie les articles qu’il a consacrés, depuis une vingtaine d’années, à l’historiographie de l’art.
En 1974, dans sa contribution au recueil de Jacques le Goff et Pierre Nora intitulé Faire de l’histoire, Henri Zerner traitait de l’histoire de l’art et déclarait : elle, "qui souffre depuis un demi-siècle d’une profonde stagnation théorique, n’est pas en état de répondre aux questions qui lui sont posées". L’est-elle davantage aujourd’hui, et le livre que Zerner consacre à quelques-unes de ces grandes figures apporte-t-il un peu de clarté sur les apories qu’il regrettait jadis ? À la stagnation a succédé, depuis 1974, une sorte d’emballement théorique dans lequel il n’est pas toujours aisé de retrouver ne serait-ce que le contour de ce qui, après tout, fonde la discipline, à savoir l’œuvre d’art. L’inquiétude théorique venant sans cesse jeter son ombre sur l’étude sourcilleuse des œuvres a été une sorte de spécialité de ce qu’on a nommé l’École de Vienne – Franz Wickhoff, Aloïs Riegl, Max Dvorak – dont Zerner subit la séduction. En cherchant à définir le "formalisme tactique" de Riegl, il retient de l’auteur des Questions de style la notion essentielle de "valeur", qui désigne un ensemble de caractères issus à la fois de l’œuvre et de sa réception historique.
Idéologies absentes
Il n’est pas difficile de cerner, parmi ces "figures", celle du ou des pères que l’auteur se reconnaît : Meyer Shapiro qui, rappelle Zerner, n’a jamais écrit un seul livre, ainsi qu’André Chastel dont il nous dit qu’il aima par-dessus tout ce sur quoi il n’écrivit jamais, à savoir la grande architecture. La déférence affectueuse avec laquelle il évoque ces deux grands maîtres ne parvient pas à cacher les réticences théoriques qu’il nourrit à leur encontre. Mais plus surprenante est son admiration pour Louis Dimier, dont il préfère le positivisme à la prose éblouissante d’un Focillon. Dimier est d’abord pour lui le découvreur du Primatice, et l’on se rappelle que dès 1969, Zerner publiait un livre sur les graveurs de l’École de Fontainebleau. Il se pose finalement en historien de la norme et des écarts, et ses brefs articles pourraient être redistribués selon ce partage : d’un côté, la question du classicisme comme norme, du style comme valeur universelle et intemporelle, de l’autre, l’écart du maniérisme par exemple. La tentative de dégager une "science de l’art" de la connaissance empirique des œuvres, qui fut l’entreprise de Morelli, séduit Zerner en raison de son irrationalité fondamentale. Et puis, et cela n’est pas le moindre intérêt du livre, Zerner n’a finalement retenu des pères fondateurs que la pensée et l’écriture, parfois une méthode, jamais l’idéologie qui les anime : les théories de la race implicites chez Riegl, le rôle de l’Action française chez Dimier ou le marxisme de Meyer Shapiro sont soigneusement mis à l’écart, parfois dénoncés comme irrecevables. Mais la matière de leur pensée peut-elle être débarrassée ainsi de ce qui ne cesse de la travailler ?
Henri Zerner, Écrire l’histoire de l’art. Figures d’une discipline, éditions Gallimard, 172 p., 150 F.
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Henri Zerner, « Écrire l’histoire de l’art. Figures d’une discipline »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°41 du 4 juillet 1997, avec le titre suivant : Henri Zerner, « Écrire l’histoire de l’art. Figures d’une discipline »