Publiés il y a deux ans, les Homemade Esthetics de Clement Greenberg ont permis au public de mieux cerner la personnalité d’un des critiques les plus importants du XXe siècle. Ses Letters to Harold nouvel ouvrage qui paraît en anglais à New York, rassemblent aujourd’hui ses premiers écrits, restés jusqu’à présents inédits.
Dans ses lettres personnelles adressées à Harold Lazarus, son ami et “seul confident de l’époque”, Greenberg livre ses états d’âme sur le métier de critique, et évoque une série de sujets aussi divers que l’art, la littérature, l’amour, le sexe, la guerre et la politique. L’ouvrage réunit un ensemble de lettres écrites entre juin 1928 et novembre 1943. Les premières ont été rédigées pendant que l’auteur, alors âgé de dix-neuf ans, effectuait sa seconde année d’études à l’université de Syracuse. Poursuivant une relation épistolaire régulière, Greenberg apparaît dès lors comme un esprit prometteur. En 1943, il collabore régulièrement à la presse engagée d’outre-Atlantique (Partisan Review et The Nation) pour laquelle il commente la politique, l’art et la littérature. Il consacre son premier article, Avant-garde et Kitsch, à la culture américaine. Publié en 1939, cet essai, par la force des idées qu’il présente, remporte un succès immédiat et ouvre à son auteur les portes de la rédaction du Partisan Review.
La poésie et la littérature sont à cette époque ce qui semble le plus préoccuper Greenberg. Mais c’est sa rencontre avec la peinture et la sculpture qui va le plus nettement l’influencer et annoncer l’écriture classique des années 1940 et 1950. Avec le style lapidaire qui le caractérise, l’auteur porte sans complaisance des appréciations sur ce qui l’entoure : “Picasso est vraiment décadent !”, confie-t-il dans une lettre de 1930, ou encore, à propos d’une exposition à New York du Douanier Rousseau :“Il n’y avait que quatre tableaux décents dans toute l’exposition.” L’écrivain s’interroge parfois, non sans une certaine ironie, sur les causes de cette arrogance qu’il manie avec tant de facilité et écrit :“Où diable ai-je pu acquérir cette disposition pédagogique ?” Sûr de ses convictions et de ses jugements, Greenberg caresse l’idée que c’est à lui “qu’incombe la responsabilité de réformer la culture américaine”. Mais cette confiance masque des doutes profonds sur son avenir et le sens de son existence : “Je me regarde – pour la première fois – atterré et horrifié devant le vide de ma vie”, écrit-il en 1934. Loin des sommets intellectuels à venir et peu préparé à les atteindre, l’auteur exprime les incertitudes dues à son âge, mais aussi celles de son époque et de son milieu : son père, un immigrant juif de Lituanie, n’a jamais été particulièrement impressionné par les aspirations et les succès littéraires de son fils. Publiées grâce à Janice Van Horne, sa veuve, Les Lettres à Harold dévoilent quelques-unes des faces cachées de cet homme sensible et complexe. Ses réflexions parfois lyriques, ses descriptions de villes, ses idées sur le sexe et l’amour constituent une chronique passionnante et parfois drôle sur le parcours d’un jeune homme en quête de son identité et de ses repères dans l’Amérique des années 1930.
- Clement Greenberg & Janice Van Horne, The Harold Letters 1928-43 : The Making of an American Intellectual (Lettres à Harold, l’émergence d’un intellectuel américain), New York, Counterpoint, 2000, 310 pp, £16.95 (env. 180 F), ISBN 1-58-243068-3
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Greenberg fait son autocritique
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°128 du 25 mai 2001, avec le titre suivant : Greenberg fait son autocritique