Du fragment [INHA & Éditions Ophrys, 72 p., 16 e] est de ces livres qui vous emportent par la musique de leur écriture et par les réflexions qu’ils enclenchent.
« Du bon usage des fragments grecs » et « Regard rétrospectif », deux textes signés du professeur de langue et de philosophie grecque Pierre Pachet, ouvrent à mille pensées tout en vous entraînant par la poésie du mot : « Restituer dans son intégrité verbale un texte grec, c’est justifier à tout jamais l’invention de l’écriture, notre garde-fou contre les précipices de l’oubli. » Le cœur de l’ouvrage, l’étude de l’œuvre de Rodin par Antoinette Le Normand-Romain, est brillant. Mais les lignes de Pierre Pachet, même datées de 1967, produisent un tel écho qu’elles méritent que l’on s’y attarde. Encore. Car le temps impitoyable ne concède l’éternité qu’à l’essentiel. Pierre Pachet parle de survivance, de citation, de lexicographe. Mais il ouvre à tellement plus. Ainsi, « L’intention du citateur est visiblement de transporter une idée du milieu verbal où elle prend naissance dans un autre environnement qu’elle doit éclairer, et par rapport auquel elle peut prendre une autre signification », qui peut traduire le travail de l’historien de l’art qui jette des ponts entre les œuvres. Aussi : « Ce que la pensée redoute avant tout, c’est l’incompréhension, contre laquelle le penseur se retranche derrière commentaires, justifications et préfaces » ramène à ces œuvres qui, pour éviter une opprobre justifiée, se cachent derrière concepts et textes critiques…
Mais alors que Pachet partait du fragment pour parler littérature, historiographie, philosophie, Michel Guérin, lui, s’est essayé à la Philosophie du geste [Actes Sud, 142 p., 18 e] qui débute ainsi : « Celui à qui la parole, essentiellement ou incidemment, fait défaut recourt au geste pour être compris. » Mais la lecture est indigeste. Michel Guérin aurait mieux fait de s’exprimer lui aussi par des gestes. Que l’on s’attaque aux chapitres « Donner » ou « Le sens du geste », et l’on glisse vers tout autre chose que ce geste qui donnait tant à voir au chapitre I. Le geste devient prétexte à la pensée autosuffisante. À peine le troc est-il évoqué que l’on passe à l’économie de l’honneur, à : refuser de donner, c’est refuser l’alliance et la communion, à l’engrenage ostentatoire, au prestige, à la consumation… Et quand « la première démystification du nihilisme aristocratique s’entend par la voix des gueux », le lecteur finit lui aussi par un geste : refermer le livre.
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Fragment et geste indigeste
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°642 du 1 janvier 2012, avec le titre suivant : Fragment et geste indigeste