« J’ai écouté du Rhythm and blues toute ma vie, alors il m’a fallu près de dix ans pour comprendre la musique abstraite et très longtemps pour le free jazz.
Il me fallait la maturité nécessaire. C’est la vie elle-même qui m’a permis d’accéder à cette compréhension. » Parmi les admirations, les collaborations et les influences directes de David Hammons, artiste-vedette de l’« Ouverture » de la Pinault Collection à la Bourse de commerce, il y a le saxophoniste Ornette Coleman et le chef d’orchestre Butch Morris, deux musiciens libres qui ont théorisé leurs expérimentations musicales. Deux artistes Africains Américains, inspirants mais difficiles d’accès. Comme peut l’être David Hammons, né en 1943 dans l’Illinois, où il a très tôt connu le racisme. Érudit, formé aux beaux-arts à Los Angeles, Hammons s’est engagé dans le Black Arts Movement, qui, dans l’énergie et la colère du Black Power et du Black Is Beautiful, voulait mettre en avant un art propre aux Africains Américains, lié à leur histoire héritée de l’esclavage, à leur fierté et à leur lutte pour l’égalité des droits civiques. Depuis, l’artiste septuagénaire n’a rien perdu de sa vigueur ni de sa radicalité : il rejette le monde de l’art, un monde de Blancs faits pour les Blancs. Il préfère donc rester à l’extérieur, dans les rues de Harlem, où il puise inspiration et matériaux de récupération : une poubelle, des mégots, des cheveux crépus chez le coiffeur d’à côté et des paniers de basket – puisque c’est essentiellement dans le sport que les Blancs ont laissé aux Noirs l’opportunité de s’élever vers le « Higher Goals », titre de l’une de ses œuvres. Les titres, parlons-en : des jeux de mots et des doubles-sens, dans la digne tradition de Duchamp, mais aussi des jazzmen qui donnaient volontiers à leurs morceaux des titres grivois ou subversifs – que seules les oreilles averties pouvaient entendre. Les jazzmen, ces « cats » chers à son cœur, David Hammons les met au cœur de son œuvre : ce sont de vrais chats dormant sur des tambours africains. Les « cats », à ses yeux et à ses oreilles, ce sont aussi les laissés-pour-compte, les sans-abri, ceux que l’on voit ou plutôt que l’on ne voit pas, symbolisés par des tentes les dérobant au regard gêné des passants, quand ils ne sont pas en prison, un autre sujet de colère de l’artiste. David Hammons est l’autoproclamé « bad guy » du monde de l’art : indépendant, hors système et irrévérencieux. Il cultive l’art de l’éphémère, les deux pieds dans une tradition qu’il veut africaine, aux couleurs de sa bannière étoilée, ce drapeau américain qu’il a revisité, en noir, vert et rouge. Son regard est aigu, son expression ironique et son oreille, comme lui, résolument libre.
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David Hammons, libre comme le jazz !
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°745 du 1 juillet 2021, avec le titre suivant : David Hammons, libre comme le jazz !