Avant la parution d’inédits de Guy Debord prévue cet automne, Fayard sort une édition augmentée des bulletins que publia l’Internationale situationniste de 1958 à 1969.
En 1969, le Larousse donnait du Situationnisme une description que les intéressés ridiculisèrent dans le douzième et dernier bulletin de l’Internationale. On peut lire dans les dictionnaires d’aujourd’hui des notices consacrées au mouvement qui ne sont pas moins superficielles, et qui fournissent un indice assez clair de l’incompréhension dont cette pensée est affectée. Paradoxalement, les malentendus proviennent pour partie du souci de ces artistes et écrivains hors du commun d’échapper à toute récupération, de résister par tous les moyens, y compris les plus violents et les plus dérisoires, à leur assimilation à la catégorie sociale de l’intellectuel.
Autonomie
Dans une série de définitions publiées dans le premier bulletin de juin 1958, on peut ainsi lire : "Situationnisme : vocable privé de sens, abusivement forgé par dérivation du terme précédent [situationniste]. Il n’y a pas de situationnisme, ce qui signifierait une doctrine d’interprétation des faits existants." Le refus de toute théorie globale permet a contrario d’insister sur la singularité du situationniste : critique, mobile et vite selon une ligne stratégique toujours demeurée implicite. L’I.S. s’est élaborée contre l’idée institutionnelle d’avant-garde telle que les surréalistes l’avaient incarnée. La précédente revue animée par Guy Debord, Potlatch, récemment rééditée dans la collection Folio-Gallimard, avait déjà réglé quelques comptes avec André Breton et son groupe. On trouve encore trace ici de ces invectives, qui toutefois n’empêchent pas l’analyse, et qui visent aussi, parmi d’autres cibles, le Lettrisme, dans lequel les situationnistes forgèrent leurs premières armes. Si l’on peut encore considérer leur position comme révolutionnaire, c’est naturellement beaucoup moins pour l’influence qu’ils exercèrent sur les événements de mai 68 que pour la vigueur d’un discours autonome qui est resté attentif aux pièges des idées et des mots. Ainsi de leur analyse de l’utopie qui ne saurait constituer pour eux un modèle, non seulement parce qu’elle n’est plus possible, mais aussi parce qu’elle empêcherait toute forme d’action véritable. De ce point de vue, les procès et les exclusions de ses membres dont l’I.S. se fit une spécialité ne sont pas une réminiscence stalinienne, mais un jeu qui préserve les vertus du déplacement et du détournement. La médaille a son revers. Certaines pages interminables, consacrées à la vie parisienne, aux événements politiques, aux tendances sociales et culturelles de l’époque, sont marquées par une redoutable phraséologie répétitive. Tous les rédacteurs du bulletin ne possèdent pas, loin s’en faut, l’intelligence rhétorique à laquelle Guy Debord accédera dans La Société du spectacle.
Collectif, L’Internationale situationniste, éditions Fayard, 708 p., 180 F.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Collectif : « L’Internationale situationniste »
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°43 du 12 septembre 1997, avec le titre suivant : Collectif : « L’Internationale situationniste »