Histoire de l'art - Livre

Alexandre Dumas a aussi écrit sur la Galerie des Offices

Alors qu’il est en exil dans la capitale de la Toscane, l’écrivain est sollicité pour rédiger un ouvrage sur les Offices. Plus qu’un guide, il en fait un vrai roman sur ses collections et l’art italien.

La galerie des Offices, Florence
La galerie des Offices, Florence
Photo Sailko

Alexandre Dumas (1802-1870) est un auteur prolifique. Vaudevilles, drames historiques, poésies, romans de cape et d’épée, biographies, récits de voyages… Aucun genre n’échappe à la plume de ce génie de la littérature. Dans la formidable galerie de romanciers français du XIXe siècle, il incarne l’écrivain d’Histoire par excellence. C’est oublier la passion pour l’histoire de l’art de ce collectionneur et connaisseur qui court les musées, admire les grandes collections d’Europe, et fréquente assidûment les ateliers de ses amis peintres. On retrouve souvent sa signature au bas d’articles dans les revues dans lesquelles il s’exprime en faveur des romantiques, prend la défense de Claude Vernet et de Paul Delaroche, ne cache pas sa profonde admiration pour Delacroix – mais n’épargne pas Ingres dans un article rédigé à sa mort.

Louis Godefroy Jadin, Adrien Dauzats ou Eugène Giraud l’accompagneront dans ses nombreuses pérégrinations. Ses récits et impressions de voyage font la part belle aux descriptions détaillées de monuments et d’œuvres d’art. L’Italie y occupe naturellement une place de choix tant la Péninsule est en mesure de satisfaire son goût prononcé à la fois pour la beauté et pour l’aventure. Cet attrait le poussera à rallier son ami Giuseppe Garibaldi qui se lance en 1860 à la conquête du royaume des Deux-Siciles. Un élan que l’Italien récompensera en nommant le Français à la tête des fouilles de Pompéi et d’Herculanum. La direction éphémère de ces deux sites antiques sera vite oubliée tout comme une série d’ouvrages rédigés une à deux décennies plus tôt et consacrés à l’histoire de l’art, qui font l’objet de récentes republications.

Frontispice du premier tome de la version française de la Galerie de Florence, publié en 1844. © Uffizi
Frontispice du premier tome de la version française de la Galerie de Florence, publié en 1844.
© Uffizi

En février 1840, Alexandre Dumas fuit Paris où règnent trop de tentations qui le distraient de son travail mais où pullulent surtout ses trop nombreux créanciers qui l’acculent à la faillite. Il élit Florence comme cadre d’un exil qui durera trois années. La ville ne lui est pas étrangère. Il y a fait un premier séjour en 1835 qui a donné naissance à un récit de voyage émaillé d’anecdotes et de commentaires historiques. À peine a-t-il posé une nouvelle fois ses valises dans la capitale de la Toscane qu’il pousse les portes des salons de sa bonne société. C’est dans l’un d’entre eux que les membres d’une società di amatori (« société d’amateurs ») lui font une offre qu’il ne peut refuser : 70 000 francs pour devenir le guide des Offices de Florence. Il ne devra pas accompagner les visiteurs dans les couloirs du musée alors en plein remaniement, mais les emmener au fil des pages d’une publication à la découverte de ses collections et leur histoire. Ceci afin de les valoriser auprès non seulement du public éclairé mais également du grand public. « La Galerie de Florence » est un ambitieux projet bilingue prévoyant deux volumes illustrés de plus de 300 gravures accompagnées de textes de l’érudit italien Ferdinando Ranalli. On donne carte blanche à Dumas pour « une mise en scène française » de l’histoire des Offices et d’une série de biographies. Un exercice dans lequel ses commanditaires savent qu’il excelle. Au style compassé des publications académiques, ils préfèrent celui enlevé et romanesque qui a fait sa notoriété.

Une histoire en six volumes

L’idée enthousiasme Alexandre Dumas et il s’y jette avec la fougue et le génie qui le distinguent. Il n’a aucune intention de rédiger un simple catalogue ou un banal guide touristique, mais entend écrire une histoire des lieux entrelacée avec celle de Florence et de ses maîtres, qu’ils soient politiques ou artistiques. Les Médicis paraissent ainsi en 1845, récit de la saga sulfureuse de ces mécènes à l’origine du musée des Offices et de ses collections qui sert d’introduction. Les conjurations, révoltes, exils, trahisons, amours et jeux de pouvoir qui s’y déploient sont autant d’éléments qu’Alexandre Dumas sait manier avec maestria.

Alexandre Dumas père photographié par Nadar en 1855. © Museum of Fine Arts, Houston.
Alexandre Dumas père photographié par Nadar en 1855.
© Museum of Fine Arts, Houston

Sa « Galerie de Florence » prévoyait au total six volumes contenant, outre cette préface historique consacrée aux Médicis, une histoire de la peinture, une histoire des peintres – soit une série de biographies de Masaccio à Giuseppe Bezzuoli –, une série de gravures commentées d’œuvres sélectionnées et une autre de portraits des peintres. Le résultat aurait été, reprenant les termes avec lesquels Dumas en informait son ami le romancier Auguste Maquet, « non seulement l’histoire artistique et anecdotique de personnalités individuelles, mais aussi celle de huit siècles de peinture en Italie ».

Cette histoire est publiée entre 1841 et 1851 sous la forme de fascicules mensuels qui se retrouveront dans les bibliothèques des maisons bourgeoises et des palais de l’aristocratie, jusqu’à celui du tsar. Pour les rédiger, Alexandre Dumas s’inspire des Vies… de Giorgio Vasari (1550), laissant à son imagination le soin de combler les manques et n’hésitant pas à associer à des figures historiques des personnages de fiction. Le tout donnera des textes empreints d’« une éloquence enchanteresse et d’une magie qui éblouit les lecteurs », lui reconnaît l’auteur de la version italienne, Ferdinando Ranalli, lequel lui reproche en même temps de « se tromper » continuellement. Il fustige ainsi à maintes occasions son manque de scrupules (« pour de l’argent, il aurait même écrit sur le dogme de l’Immaculée Conception »), l’accuse de « romancer » l’histoire des Médicis et de n’avoir qu’une connaissance superficielle des questions liées à l’art, n’ayant pas visité les Offices, sinon pour « s’y promener, comme le font tous les étrangers ». Des critiques qui ne sont pas étrangères à sa jalousie pour le talent de cet artiste de la langue française.

Les difficultés financières de la société privée à l’origine du projet de la « Galerie de Florence » et les vicissitudes historiques qui secouent l’Europe au mitan du XIXe siècle interrompent sa publication. Elle a été tirée de l’oubli en 2023 avec la publication des Médicis par les éditions Vuibert. L’universitaire Cristina Farnetti est quant à elle l’autrice d’une étude parue il y a quelques mois sur Imagines, la revue en ligne des Offices. En collaboration avec le président de la Société des amis d’Alexandre Dumas, elle s’occupe actuellement d’une édition moderne intégrale de cette fresque littéraire méconnue de l’histoire de l’art.

Reproduction de la Naissance de Vénus de Sandro Botticelli dans la Galerie de Florence. © Uffizi
Reproduction de la Naissance de Vénus de Sandro Botticelli dans la Galerie de Florence.
© Uffizi

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°637 du 5 juillet 2024, avec le titre suivant : Alexandre Dumas a aussi écrit sur la Galerie des Offices

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