La photographie du XIXe siècle peine à séduire les collectionneurs. La qualité des images proposées est parfois en cause. Mais les pièces uniques attirent toujours les amateurs.
Le marché international de la photographie XIXe s’étiole. Si les pièces rares continuent à faire leurs prix, les images de qualité comme la clientèle font défaut. À Paris, les ventes à thème et quelques niches servent de valeur refuge.
Une belle enchère ne fait pas un marché. « Aujourd’hui, les chefs-d’œuvre de la photographie ancienne ne sont accessibles qu’à dix collectionneurs privés dans le monde », constate l’expert Grégory Leroy. Le 7 avril dernier, chez Sotheby’s, à New York, un particulier américain a hissé au top 10 de la collection Quillan un paysage de glaciers à Yosemite, vers 1865-1866, du primitif américain Carleton E. Watkins qui a grimpé à 265 000 dollars. Un an auparavant, les quarante-et-un tirages d’époque de la collection Cuvelier avaient totalisé 2,89 millions de dollars chez cet auctioneer. Le marchand parisien Serge Plantureux emportait trois lots phares parmi lesquels le fameux paysage Village de Rivière estimé 60 000/90 000 dollars qui atteignait 288 000 dollars, tandis que le marchand new-yorkais Hans P. Kraus emportait deux vues du photographe de l’école de Barbizon. « La belle marchandise se raréfie au point qu’il devient difficile de séduire une nouvelle génération d’acheteurs », déplore Philippe Garner, directeur international de la Photographie chez Christie’s qui a lancé ce marché lorsqu’en 1999 La Grande Vague à Sète (1857) de Gustave Le Gray, lot phare de la collection Jammes adjugé 838 704 dollars (528 720 euros) chez Sotheby’s, devenait la photo la plus chère au monde. « De nos jours, il est devenu quasi impossible de retrouver ce niveau de richesse en ventes publiques », poursuit Garner. De fait, trois galeries new-yorkaises et londoniennes se partagent les pièces majeures, à l’instar de la galerie Hans P. Kraus où une marine exceptionnelle de Le Gray peut dépasser 200 000 dollars, alors qu’une épreuve plus courante est partie à 61 863 dollars chez Sotheby’s à Londres en mai. Les vues de Paris en état médiocre qui sortent en masse restent invendues. « Les ventes Jammes de 1999 et 2002 furent une époque charnière où les prix ont atteint des sommets avant de retomber peu à peu sans que l’excellence ne disparaisse », observe le galeriste et expert Yves Di Maria. À Paris, où le marché vivote en offrant des images d’intérêt secondaire à prix moyens, l’un des huit exemplaires intacts de l’album Souvenirs du camp de Châlons au Ltd Eggs (1857) commandité par l’empereur Napoléon III à Gustave Le Gray, a franchi la barre mythique du million de dollars (696 730 euros), le 17 novembre 2007, chez Artcurial en décrochant un triple record mondial pour une œuvre du XIXe siècle. « Ce prix atypique résulte de l’état parfait de cette pièce quasi unique de Le Gray, un auteur qui reste une icône absolue aux yeux des collectionneurs américains et européens », analyse Grégory Leroy, le spécialiste de cette vente.
Savoir apprécier la valeur d’une épreuve du XIXe siècle requiert une connaissance des procédés anciens et de l’histoire de la photographie qui n’est plus au goût des collectionneurs quadragénaires intéressés par les grands formats colorés contemporains, plus faciles à appréhender selon les experts. Ainsi, les vues d’architecture réputées austères de Baldus sont, elles, boudées alors qu’elles valent de 800 à 10 000 euros.
Le marché parisien de l’ancien se réfugie dans les ventes à thèmes autour des voyages ou de la science tout en réservant des surprises. Le 16 mai, la collection inédite « Nos contemporains chez eux » du photographe Paul Marsan, dit Dornac, a totalisé 218 000 euros chez Piasa. Le portrait du poète Stéphane Mallarmé, chez lui, le 22 avril 1893, a décroché la plus haute enchère à 40 700 euros (frais compris), suivi par le Portrait de Verlaine au café François 1er en 1892 vendu 30 000 euros. Toujours prisés, les albums d’intérêt documentaire fluctuent à l’image de deux portfolios de Louis-Émile Durandelle illustrant le projet du Nouvel Opéra de Paris par Charles Garnier adjugés 13 012 euros (frais compris) le 9 avril chez Tajan. La série complète, estimée 40 000/50 000 euros, a été invendue chez Artcurial en 2005. En vogue, les daguerréotypes, les négatifs sur papier, les autochromes attirent un cercle d’initiés qui spéculent sur ces pièces uniques. Le 27 mai dernier, le négatif sur papier ciré L’Hôtel de Ville (circa 1851) de Louis-Rémy Robert a triplé son estimation à 9 294 euros chez Artcurial. Sitôt ouverte la foire de Bâle en juin, Hans P. Kraus a cédé pour 25 000 dollars à un collectionneur français l’autochrome Pommes sur une nappe à carreaux (1909) du pictoraliste autrichien Heinrich Kühn.
Drôle de photo officielle (ill. ci-contre) signée à l’encre par Isidore Chessé, gouverneur des Établissements Français de l’Océanie de 1880 à 1881 et par le roi Pomare V de Tahiti. Tirage albuminé supposé unique estimé entre 1 000 et 1 500 euros, le portrait de groupe informel titré Réunion de Tahiti à la France, 29 juin 1880 qui sera vendu le 29 octobre à l’hôtel Drouot par la SVV Le Mouël (expert Viviane Esders), fait pourtant figure de document historique. Ce jour-là, devant l’objectif de l’Anglo-Saxonne Susan Hoare, seule photographe à exercer dans l’île, Pomare V, dernier roi de Tahiti (1839-1891), entouré de ses filles et de vingt chefs de districts, fait don à la France de ses territoires qui deviennent les Établissements français d’Océanie. Cette photo un peu jaunie dont les musées français et le Quai d’Orsay ne posséderaient aucun exemplaire, provient de la famille du diplomate Isidore Chessé. La seule autre image connue de cet événement est un photomontage qui fut publié dans L’Illustration en septembre 1880 associé à l’article « Annexion de Tahiti à la France ». Photographe officielle de la famille royale tahitienne, Susan Hoare, qui fut médaillée à l’Exposition universelle de Paris en 1889, faisait aussi poser les vahinés et les guerriers des Îles Marquises. Le 25 octobre 2006, deux tirages albuminés au format carte de visite représentant le roi Pomare V et la reine Marau, accompagnés d’une lettre manuscrite de la souveraine, ont été vendus 2 400 euros (frais compris) par la SVV Le Mouël.
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Un marché loin des clichés
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Abonnez-vous dès 1 €Grégory Leroy, expert en photographie chez Sotheby’s
Quel est l’état du marché de la photographie ancienne ?
Malgré un intérêt historique évident et une certaine profusion de matériel, notamment à Paris, le marché meurt, car il compte peu d’intervenants. L’évolution du Salon Paris Photo montre qu’un virage net a été pris depuis six ans vers le contemporain, puisque l’intérêt du public pour le XIXe siècle est en train de se tarir au profit du glamour, du nu et de la photo de mode. Cet intérêt pourrait renaître à Paris à condition pour les maisons de ventes d’éduquer le goût des collectionneurs.
Comment ranimer ce marché ?
Les musées qui comptent parmi les plus gros acheteurs achètent peu chers car la concurrence est faible. Trois daguerréotypes ont été vendus au Musée d’Orsay à Paris entre 12 000 et 15 000 euros la pièce chez Artcurial en 2006. Les prochains pics d’excitation se créeront lorsque se vendront les six collections privées au monde aussi exceptionnelles que celles de Roger Thérond ou de Marc Pagneux.
Quelles niches du XIXe siècle sont les plus prometteuses ?
On peut réunir une collection de qualité muséale de pièces uniques avec les autochromes en se concentrant sur les œuvres de Léon Gimpel et des pictorialistes. Les belles pièces qui valent déjà entre 3 000 et 20 000 euros en galeries vont s’apprécier d’ici quinze ans car la demande reste forte pour les débuts de la photo couleur. Les négatifs papiers de Louis-Rémy Robert, Jean-François-Frédéric Flacheron ou John Murray ont la même cote. Le nec plus ultra consiste à associer leurs tirages.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°286 du 5 septembre 2008, avec le titre suivant : Un marché loin des clichés