TOURS
Les autochromes exposées au château de Tours montrent combien la couleur a représenté une révolution tant industrielle qu’artistique au siècle dernier.
Tours. « Il est impossible de voir une image reproduite dans la chambre noire sans se demander si la science n’arrivera pas un jour à la fixer telle qu’elle s’y reflète, c’est-à-dire avec ses couleurs », s’interrogeait Paul de Saint-Victor, en 1876, dans son ouvrage consacré à la photochromie, trente-sept ans après l’invention de la photographie. Il n’était pas le seul à se poser la question. Plusieurs recherches pour fixer les couleurs ont été menées, aboutissant à différents procédés. Louis Ducos du Hauron a essayé, en 1869, une méthode théorique de reconstitution des couleurs fondée sur le principe de la trichromie, mais sans réussir à la concrétiser. Elle l’a été par Louis Lumière en 1903 avec l’invention de l’autochrome dont le secret résidait dans l’emploi de grains de fécule de pomme de terre, teintés de trois couleurs primaires, étalés sur une plaque de verre, permettant de capter et de filtrer la lumière. Pour autant, la reproduction des couleurs par un procédé simple n’a pas été aisée, comme il l’a souligné : « Le cinéma a été une chose relative facile et m’a demandé peu de temps et d’efforts », comparé « aux sept ans d’efforts ininterrompus » nécessaires pour mettre au point l’autochrome. Ce procédé de photographie couleur a révolutionné la pratique d’autant plus qu’il a été produit à l’échelle industrielle par la société Lumière à partir de 1907. Le succès a été immédiat bien que le prix d’une plaque colorée fût trois fois plus élevé qu’une plaque en noir et blanc. Plusieurs millions de plaques ont été produites jusqu’en 1932-1933 par l’usine Lumière de Monplaisir, à Lyon, avant que l’émergence de supports souples et de composants chimiques ne rende le procédé obsolète.
Les grands représentants du pictorialisme que furent Alfred Stieglitz, Edward Steichen, Paul Burty-Haviland et Heinrich Kühn ont, dès le début, manifesté leur enthousiasme devant la richesse, l’éclat des couleurs et des luminosités restituées par l’autochrome – et leur matière –, y compris lors d’une prise de vue nocturne. On retrouve quelques-unes de leurs plus célèbres photos réalisées avec ce procédé parmi les cent soixante-seize autochromes de la collection de Soizic Audouard et Élisabeth Nora, présentées actuellement au château de Tours. Mais aussi bien d’autres images passées à la postérité, comme celles des éclairages et des décors de façades de Léon Gimpel, photographe célèbre de la Belle Époque qui fut associé par les frères Lumière à la présentation de l’autochrome en 1907. On découvre aussi nombre de photographies anonymes tout aussi sublimes, telle cette robe rouge basque légèrement brodée, suspendue à un cintre et mise en place sur un fond de tissus blanc, ou cet atelier de tissage uniquement éclairé par une lampe centrale. « Ce qui nous intéresse, c’est l’image », souligne Soizic Audouard, et « le climat d’une époque », précise Élisabeth Nora.
Leur présentation favorise le mélange des genres photographiques et des approches (picturales ou documentaires), et leur sélection donne la mesure de la grande diversité des usages et le pouvoir de séduction de l’autochrome. Portrait, nature morte, fleur, bouquet, scène de rue ou d’intérieur, vie urbaine ou rurale, travail en atelier ou aux champs, voyage en Europe ou en Orient et recherche scientifique : le visiteur est interpelé par la large palette des sujets traités.
Depuis quinze ans – et leur coup de cœur devant des orangers en fleurs lors d’une vente chez Artcurial qu’elles décidèrent d’acheter ensemble –, Soizic Audouard et Élisabeth Nora, amies de longue date, acquièrent de l’autochrome. « Nous avons la même sensibilité tout en ayant du besoin du regard l’une de l’autre », expliquent-elles. Ce n’est pas la première fois que la collection « AN », comme elles l’ont dénommée, est exposée en régions, mais c’est la première fois qu’elles la déploient en un aussi grand nombre de pièces. L’adjonction à la fin du parcours d’autochromes de la guerre de 1914-1918, détenues par la Médiathèque du patrimoine et de la photographie, complète le panorama.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°602 du 6 janvier 2023, avec le titre suivant : La séduction de l’autochrome