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Paroles d’artiste

Stéphane Thidet : « C’est l’action d’inquiéter qui m’intéresse »

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 5 juin 2013 - 709 mots

Stéphane Thidet, exposé à la galerie Aline Vidal, à Paris, compose un territoire fictionnel à partir de gestes d’atelier secondaires.

Au gré de son fonctionnement nomade, la galerie Aline Vidal, actuellement installée rue Vieille-du-Temple (Paris-3e), propose les travaux récents de Stéphane Thidet [né en 1974, 244e dans l’Artindex France 2013], dans un accrochage tout en tensions où pointent l’instabilité et une certaine forme d’inquiétude.

Vous avez souvent créé des installations d’ampleur importante, or pour cette exposition vous montrez des œuvres de formats plus intimes. Les deux sont-ils complémentaires ?
Je ne me pose pas la question du format. La particularité de cette exposition est dans l’accent porté sur tous ces gestes d’atelier que généralement je laisse de côté au profit d’une installation. J’ai souhaité là composer avec toutes ces petites choses qui parfois disparaissent, et les rendre visibles. Et puis surtout j’ai pensé l’exposition à partir de ce titre, « Après après ». Il était pour moi un territoire fictionnel possible qui me permettait de travailler chaque objet comme un protagoniste différent, c’est-à-dire tantôt comme indication temporelle tantôt comme personnage d’une possible fiction. Mais finalement tout cela revient à parler de la réalité.

Justement, le lien entre réalité et fiction est récurrent dans votre travail, sans que l’on sache exactement où l’on se situe. Cherchez-vous à proposer une lecture du monde à travers la fiction ou au contraire à faire du monde une fiction ?
J’aime bien faire l’aller-retour entre ces deux choses justement. Ce que je fabrique à chaque fois, ce sont des réalités, c’est-à-dire que je propose des situations réelles, non des images de situations, même si, avec la vidéo, il s’agit de l’image d’une situation qui s’est passée. Mais en fait j’utilise la fiction pour parler du réel, tout simplement.

Pourquoi la fiction est-elle plus intéressante que la réalité ? Parce que cela vous ouvre des champs d’exploration, vous fournit de nouveaux outils, vous aide à générer des décalages ou des tensions… ?
Je crois que justement, travailler avec la fiction pour parler du réel, c’est se donner la liberté de se réinventer une histoire. Nombre de gestes que j’utilise sont liés à l’enfance, mais une enfance réinventée. Et finalement, que ce soit un passé, un futur ou un présent, la notion de « fiction » permet de réinventer ces choses-là. Mais quand je dis « fiction », c’est compliqué parce qu’en fait, pour être plus précis, peut-être faudrait-il parler de « micro narration » ? C’est peut-être là où l’on parle de fiction ?

L’exposition donne le sentiment d’un hiatus temporel ; on ne sait pas si on se situe à un moment d’une action qui va se poursuivre ou si au contraire tout s’est déjà arrêté…
Je parlais de certaines pièces de cette exposition comme de fossiles de situations, mais j’aime aussi laisser la possibilité d’un « après » car la plupart des choses peuvent tomber, se détacher. Par exemple pour Hiver (2013), cette plante recouverte de pâte à modeler, sa fragilité lui donne un futur ; même dans cette tentative de pétrification, il lui reste encore la possibilité de se décomposer. En fait, il s’agit d’une décomposition intérieure, je lui fabrique une coque mais elle continue de dépérir. Il y a un aspect extérieur de fossilisation, mais l’instabilité intérieure reste dans chaque chose.

À travers l’instabilité et le bouleversement qui souvent lui est concomitant, s’agit-il chez vous une volonté d’entretenir une certaine forme d’inquiétude ?
Oui, bien sûr ! Peut-être est-il normal, déjà, d’être inquiet dans ce monde, et je pense que l’art doit servir à m’inquiéter : à m’inquiéter sur les formes, sur ce qui est établi. Le rapport même poétique que l’on peut avoir avec le monde vient de ces inquiétudes, je crois. Je pense avoir besoin de perturber l’ordre des choses pour qu’elles puissent me raconter quelque chose, ne serait-ce que par de micro déplacements. Parfois, changer simplement de point de vue constitue déjà un déplacement ou une inquiétude par rapport à une habitude. Quand je parle d’inquiétude, c’est aussi geste d’inquiéter quelque chose. Coucher une chaise, c’est inquiéter sa stabilité. En fait, c’est l’action d’inquiéter plus que la question de l’inquiétude qui m’intéresse.

Légende photo

Stéphane Thidet, Ð? Rebours, 2013, briques, demi-chevrons © Photo courtesy Galerie Aline Vidal, Paris

STÉPHANE THIDET. Après après

Jusqu’au 22 juin, galerie Aline Vidal, 119, rue Vieille-du-Temple, 75003 Paris, tél. 01 43 26 08 68, www.alinevidal.com, tlj sauf dimanche-lundi 14h-19h, samedi 12h-19h.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°393 du 7 juin 2013, avec le titre suivant : Stéphane Thidet : « C’est l’action d’inquiéter qui m’intéresse »

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