Commerce de faux, vente d’objets pillés : quelques « affaires » sorties ces dernières années ont donné au marché de l’art égyptien une mauvaise réputation. Éclaircissements.
L’archéologie égyptienne est un des domaines les plus fascinants de l’Antiquité. Depuis le temps des grandes fouilles archéologiques, l’égyptomania s’est largement répandue en Europe. Les collections permanentes du département des Antiquités égyptiennes du Louvre sont très visitées et les grandes expositions sur le sujet tel « Pharaon » à l’Institut du monde arabe (du 15 octobre au 12 juin 2005) enregistrent toujours des records d’affluence. L’égyptologie fait également des émules auprès d’une communauté de collectionneurs d’objets relatifs à l’histoire des grandes civilisations. De l’amulette en faïence bleue à la stèle funéraire en passant par les bronzes incarnant les divinités du panthéon égyptien, ces archéologues en chambre assouvissent leur passion à tous les prix chez les marchands spécialisés et dans les salles de ventes. Quelques récentes affaires médiatiques, qui ont attiré l’attention du public au-delà du simple cercle des collectionneurs, ont jeté le discrédit sur ce marché. Le cas « Sésostris III » a fait beaucoup de bruit ces dernières années et a ancré dans l’opinion publique l’idée que le marché de l’art égyptien était truffé de faux. Et pour cause. L’histoire remonte à 1998. Une statuette en pierre du Moyen Empire représentant le roi Sésostris III (ill. 1, 2) est vendue à Drouot pour la somme pharaonique de 770 000 euros, un record à l’époque. Son acheteur, le célèbre homme d’affaires François Pinault, se fait connaître à l’occasion d’un procès qu’il intentera pour faire annuler la vente car il apprend tardivement que la pièce est connue de la communauté scientifique internationale pour être un faux. Il perdra en justice à deux reprises, faute d’avoir recueilli de témoignages d’égyptologues (ceux-ci refusent de se mêler de questions privées conformément à leur code de déontologie) et en l’absence de test scientifique suffisamment probant sur des objets en pierre pour démasquer les faux. Cette affaire a refroidi plus d’un amateur d’art de se lancer dans l’achat d’objets égyptiens mais pas les habitués qui font confiance à quelques professionnels du marché et se tuyautent toujours avant de jeter leur dévolu en ventes publiques sur un lot.
Trois catégories de faux
« Il n’y a pas plus de faux en égyptologie qu’ailleurs (mobilier xviiie, Art déco, peinture moderne ou art africain) », lance avec conviction le spécialiste Jean-Claude Montésino de la galerie Cybèle. « Il y a trois sortes de faux, explique encore l’expert Christophe Kunicki du cabinet Mariaud de Serres.
1) Les faux grossiers pour les touristes, immédiatement identifiables. 2) Les faux démodés de la fin du xixe siècle et du début du xxe siècle qui correspondent à un certain goût, et ceux-là aussi on les repère. 3) Les faux bien faits. » Cette dernière catégorie est plus difficile à détecter. Pourtant les faussaires commettent des erreurs. Quand ils passent avec succès le test du respect des formes et des proportions, ils se font piéger avec les inscriptions : incapables de les inventer, ils recopient les hiéroglyphes, pas toujours intelligemment. D’ailleurs, les professionnels qui ne déchiffrent pas bien l’égyptien ancien se font aider par les égyptologues qui leur prêtent volontiers main forte. Ainsi, la marchandise est passée au peigne fin.
Trafics d’antiquités
« Je refuse jusqu’à 90 % des objets qu’on me présente », rapporte l’antiquaire Didier Wormser de la galerie L’Étoile d’Ishtar. « Des objets trop restaurés ou composites, des pièces de provenance douteuse ou sans provenance », précise l’expert Daniel Lebeurrier qui a écarté plus de 2 500 lots l’an passé en vente aux enchères. Face aux faux, l’autre menace est la pièce authentique mais pillée sur un site de fouille. Il y en aurait pas mal en circulation. Une source de complication dont se seraient bien passés les marchands. « Il y a tant d’objets qu’on a ramenés dès le XVIIIe siècle en France et encore plus largement au xixe siècle. À l’époque en Égypte, il suffisait de se baisser pour les ramasser.
Alors, pourquoi aller chercher des problèmes ? », souligne Daniel Lebeurrier qui, pour se protéger dans son activité de marchand, demande à ses vendeurs n’ayant pas la preuve de l’origine des pièces de lui signer un document attestant que ces pièces sont la propriété familiale depuis plus de quarante ans. En 2002, suite à une plainte des autorités égyptiennes, un célèbre marchand américain, Frederick Schultz, a été reconnu coupable de trafic d’antiquités égyptiennes sorties illégalement d’Égypte et condamné à trente-trois mois de prison et à une amende de 50 000 dollars pour ces faits. Si les contrôles inopinés de marchandises chez les professionnels par l’Office central de lutte contre le trafic de biens culturels (OCBC) ainsi que par la brigade de la répression du banditisme ont toujours eu lieu sur le sol français, le gouvernement égyptien est passé à la vitesse supérieure depuis 2002, année de la nomination de Zahi Hawas (ill. 8) comme secrétaire général du Conseil suprême des antiquités (CSA) en Égypte. L’homme incorruptible est sur tous les fronts. Il s’est donné pour mission de récupérer les trésors archéologiques se trouvant illégalement à l’étranger. Il a déjà réussi à rapatrier plusieurs centaines d’objets des salles de ventes comme des musées internationaux. Il a aussi démantelé le plus vaste réseau de trafic d’antiquités impliquant aux premières loges un Égyptien : Tareq Al-Soweissi, membre puissant du Parti national démocrate (PND). Dans cette affaire, d’autres personnes influentes sont derrière les verrous dont plusieurs inspecteurs du CSA. Un trafic qui étend ses ramifications dans toute l’Europe et aux États-Unis. L’expert judiciaire parisien Chakib Slitine, considéré comme étant le complice de Tareq Al-Soweissi, a été condamné par contumace à quinze ans d’emprisonnement et 50 000 livres égyptiennes d’amende pour recel en France de pièces archéologiques volées en Égypte (1).
Les professionnels réputés que nous avons interrogés regardent avec amusement cette saga policière de l’art. « Quand on fait bien son travail, on dort bien », conclut Daniel Lebeurrier.
(1) Jugement du 29 avril 2004 de la Cour criminelle du Caire en Égypte.
- Galerie Cybèle (Jean-Claude Montésino), PARIS, 65 bis rue Galande, Ve, tél. 01 43 54 16 26. - Galerie L’Étoile d’Ishtar (Didier Wormser), PARIS, 11 rue des Beaux-Arts, VIe, tél. 01 46 33 83 55, www.galerie-ishtar.com - Galerie Gilgamesh (Daniel Lebeurrier), PARIS, 9 rue Verneuil, VIIe, tél. 01 42 61 37 66. - Cabinet Mariaud de Serres (Christophe Kunicki), PARIS, 15 rue Bonaparte, VIe, tél. 01 43 25 78 27.
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Remue-ménage dans le marché de l’égyptologie
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°573 du 1 octobre 2005, avec le titre suivant : Remue-ménage dans le marché de l’égyptologie