L’odyssée des plâtres de Jean Arp réintégrés dans l’atelier de Clamart, dont ils avaient été soustraits frauduleusement il y a près de 20 ans, s’achève aujourd’hui.
PARIS - Les péripéties et procédures qui ont émaillé le périple de ces plâtres de Arp – dont sept pièces sont présentées dans le nouvel accrochage des collections d’art moderne au Centre Pompidou – ont précisé, collatéralement, les principes et usages français en matière de collection d’artistes et de protection du patrimoine national.
S’il y a pu avoir des contestations sur la propriété des œuvres de Arp conservées dans la maison atelier à Clamart, elles étaient circonscrites aux ayants droit et aux deux fondations française et allemande qui défendent l’œuvre et les droits de l’artiste. Après le passage des douanes et de la justice, l’État a mis tout le monde d’accord en s’octroyant la propriété des œuvres. Le Musée national d’art moderne auquel elles ont été attribuées a heureusement eu le bon goût de les replacer à Clamart.
Si l’intervention de la contrainte publique a permis la conclusion heureuse qu’il serait mal venu de bouder, elle manifeste les incertitudes nationales par rapport aux fondations d’artistes, et plus généralement les réticences de l’administration face à des personnes morales de droit privé qui s’arrogent un pan de l’intérêt général. La justice témoigne du même souci. Il est significatif que le 8 janvier 2003 la chambre criminelle de la Cour de cassation, tout en validant l’essentiel de l’arrêt d’appel qui mettait un terme au contentieux douanier, ait cassé la conclusion de cet arrêt, acceptant la constitution en partie civile de la Fondation Arp France. La Cour de Douai avait relevé que « la Fondation Arp France, déclarée d’utilité publique, ayant vocation à défendre le sculpteur et ayant subi un préjudice direct et certain à raison de l’exportation litigieuse, les objets saisis ayant naturellement vocation à rejoindre les ateliers de l’artiste à Clamart d’où ils n’auraient jamais dû partir et se trouvant en réalité depuis de nombreuses années en souffrance dans des entrepôts dont la vocation première n’est pas de recevoir des œuvres constituant une collection, la somme de 1 franc allouée à la partie civile à titre de dommages et intérêts sera confirmée ». Pour annuler cette conclusion, la Cour de cassation avait relevé que l’infraction douanière de contrebande ne portait atteinte « qu’à l’intérêt général et aux droits de l’administration des douanes » ; on ne pouvait mieux signifier que l’intérêt d’une fondation ne pouvait se confondre, même modestement, avec l’intérêt général. Dès lors, l’idée même d’une restitution directe à la Fondation était écartée.
Tout est compliqué dans cette affaire qui mêle les traditions juridiques et administratives françaises et les relations complexes des deux fondations Arp alourdies du comportement ambigu des conseillers et exécuteurs testamentaires. Il faut donc se garder d’en tirer des conclusions générales. Mais, si dans ce cas on débouche sur une « happy end », on peut voir par ailleurs les effets désastreux de ces complexités dans les difficultés de la « fondation » Giacometti.
Une protection pour les collections
Le long contentieux douanier qui a suivi la saisie douanière de juin 1996 s’est un moment fixé sur la définition de collection d’intérêt artistique et historique. En effet, la qualification de la contrebande s’appuyait sur l’absence de « certificat de libre circulation » accompagnant les biens culturels. Mais le décret français de janvier 1993 – reproduisant d’ailleurs les catégories de biens soumis à contrôle annexé au règlement communautaire de 1992 sur les exportations des biens culturels – ne donnait pas une prise « franche » sur les biens exportés. En effet, les pièces appréhendées, pour l’essentiel 114 plâtres, n’avaient pas une valeur unitaire excédant 50 000 euros, seuil d’application des contrôles et d’obligation de présentation d’un certificat de libre circulation. Une première expertise confiée à trois spécialistes avait conclu qu’aucune des pièces n’avait une valeur vénale excédant 50 000 euros ; toutefois, la galeriste parisienne Denise René, membre du comité d’expertise, avait communiqué un avis dissident faisant valoir qu’il fallait apprécier l’ensemble comme une collection dont elle précisait qu’elle avait une valeur inestimable pour comprendre le travail de l’artiste et sa place dans l’histoire de l’art du XXe siècle.
Pour sortir de cet embarras, les douanes en cours de procédure correctionnelle avaient requalifié le chargement en « collection », ce qui permettait d’appliquer le seuil de déclaration de 50 000 euros à l’ensemble saisi. Le tribunal avait suivi et le ministère de la Culture lui-même avait été invité à « plancher » sur la notion de « collection d’intérêt historique ». In fine, le contentieux avait permis de préciser la notion de collection et de valider l’incrimination douanière. À ce point de vue, le détour douanier aura fait avancer la protection du patrimoine national.
Les douanes rempart du patrimoine
Cette affaire révèle que les douanes sont l’indispensable complément des dispositifs de protection du patrimoine (ce que ne manquent pas de développer les communiqués de presse). Dans ce cas, en traitant l’urgence d’une tentative de sortie du territoire qui pouvait devenir irréversible et en proposant une solution – brutale mais efficace du point de vue du patrimoine – à un litige sur des droits de propriété et/ou d’usage incertains (les plâtres étaient détenus à Clamart, mais la Fondation allemande disposait des droits de tirage…).
Plus généralement, dans le contexte de la multiplication des contentieux portant sur la licéité des transferts internationaux des biens culturels (vols, spoliation, fouilles clandestines, etc.) qui butent régulièrement sur les règles nationales de la propriété, on constate que les règles douanières peuvent constituer un substitut efficace pour contrer les trafics.
On a pu le constater dans les pratiques des douanes américaines qui ont permis d’appréhender et de restituer des biens importés illicitement, en évitant des procès aléatoires. On remarque également que le dispositif récemment mis en place par le Royaume-Uni, après son adoption de la convention de l’Unesco de 1970, assigne aux douanes un rôle important dans la répression des trafics.
On n’est pas si loin des droits des artistes puisqu’une des missions essentielles des douanes aujourd’hui est la lutte contre la contrefaçon des droits de propriété intellectuelle.
CA Douai, 6e ch., 6 mars 2001 ; Cass. crim. 8 janv. 2003, n° pourvoi 01-85840.
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Plâtres de Arp : restitution à la française
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°252 du 2 février 2007, avec le titre suivant : Plâtres de Arp : restitution à la française