Justice

Perriand contre Prouvé

La cour d’appel confirme la seule paternité de Charlotte Perriand de plusieurs meubles

Par Hélène Brunel · Le Journal des Arts

Le 28 mars 2012 - 796 mots

PARIS

PARIS - De leur vivant, Charlotte Perriand et Jean Prouvé étaient collaborateurs et amis, « sans qu’aucun conflit ne se soit jamais élevé entre eux sur la paternité de leurs œuvres ».

C’est en tout cas ce qu’indiquait le tribunal de grande instance de Paris le 25 mars 2010, dans une affaire opposant les héritiers des designers, quant à la paternité artistique de certains de leurs meubles devenus cultes. La troisième chambre avait alors eu à statuer sur l’atteinte portée au droit moral de Charlotte Perriand par deux galeries de renom, la Galerie Patrick Seguin et la Sonnabend Gallery, coéditrices en 2007 d’un ouvrage consacré à Jean Prouvé. En 2008, la fille de Charlotte Perriand, Pernette Martin-Barsac, assigne en justice les deux galeries, leur reprochant de présenter dans ledit livre plusieurs meubles comme des œuvres réalisées par Jean Prouvé en collaboration avec Charlotte Perriand, alors que cette dernière en était l’auteur unique. À ce titre, elle demande la condamnation des défenderesses à lui payer 50 000 euros de dédommagement. De plus, elle sollicite du juge qu’il leur interdise la commercialisation de l’ouvrage critiqué « jusqu’à modification des mentions erronées et indication de la qualité d’auteur de Charlotte Perriand ». Étant ici précisé que les ayants droit de Jean Prouvé ont été joints à la cause uniquement afin que le jugement à rendre leur soit déclaré commun. Dans un arrêt du 15 février 2012, confirmant le jugement rendu en premier ressort, la cour d’appel de Paris considére que « c’est par des motifs exacts et pertinents que […] le tribunal a jugé qu’il n’était pas démontré que l’ensemble des meubles en cause seraient des œuvres de collaboration à la création desquelles aurait participé Jean Prouvé, mais qu’ils sont des créations de Charlotte Perriand seule ». Pour l’essentiel, sont visés par cette décision les bibliothèques type « Tunisie », « Mexique » et « Nuage », la table empilable dite « Air France » ou « Tokyo », ainsi que les table et tabouret à pieds triangulaires fusiformes en métal.

Réhabilitation de l’œuvre de Charlotte Perriand
Maître Dominique de Leusse, l’avocat de Pernette Martin-Barsac et auparavant de Charlotte Perriand, souligne l’intérêt juridique du jugement et de l’arrêt, « pour la preuve et pour le principe ». Concernant la charge de la preuve, la cour confirme qu’il appartenait aux héritiers de Jean Prouvé, « qui revendiquent sa qualité de coauteur, d’établir que ce dernier a également participé à la création des meubles ». Autrement dit, les juges retiennent que la charge de la preuve pèse sur celui qui se prétend être l’auteur. C’est donc à lui qu’il incombe d’apporter la preuve de son rôle créatif. Sur le principe ensuite, l’arrêt rappelle que seule la forme est protégée par le droit d’auteur, et non pas la technique, soit la manière dont cette forme est conçue ou fabriquée. « Pour les bibliothèques, par exemple, l’argument des défendeurs était de dire que, puisqu’elles intégraient dans leur structure des éléments métalliques façonnés selon la technique de la tôle pliée conçue par Jean Prouvé, Jean Prouvé en était le coauteur », explique Maître de Leusse. Un argument qui sera d’ailleurs repris en défense pour les autres meubles. Toutefois, la cour d’appel estime que « le recours à une technique caractéristique de l’œuvre de Jean Prouvé ne prouve pas l’implication de ce dernier dans le processus créatif d’un meuble particulier réalisé au moyen de cette technique ». C’est pourquoi elle condamne la Galerie Patrick Seguin et la Sonnabend Gallery à verser à Pernette Martin-Barsac les 50 000 euros de dommages et intérêts réclamés. « L’arrêt de la publication de l’ouvrage a aussi été ordonné, mais cette mesure n’a pas été respectée, ajoute Maître de Leusse. Or, cela pose problème car ce livre pourrait faire autorité ». La Galerie Patrick Seguin est, en effet, spécialisée dans le design du XXe siècle.

Selon la cour d’appel, « les erreurs d’attribution […] s’expliquent, pour l’essentiel, par une confusion entre Jean Prouvé, personne physique, architecte ingénieur et designer, et la société Atelier Jean Prouvé, personne morale, qui a fabriqué les meubles conçus par Charlotte Perriand ». Maître de Leusse, lui, précise qu’une « assimilation entre les deux artistes aurait été faite par les marchands dans les années 1990, à une époque où le nom de Prouvé était plus connu, donc plus porteur commercialement, que celui de Perriand ». Quant au représentant des éditeurs, Maître Olivier Baratelli, celui-ci a seulement tenu à indiquer que ses clients s’étaient trouvés « pris en otage dans une guerre entre deux familles » ; avant d’ajouter que si l’héritière de Charlotte Perriand « à la rigueur du droit d’auteur français pour elle », les héritiers de Jean Prouvé ont « moralement, intellectuellement et historiquement raison ». Iront-ils alors jusqu’à se pourvoir en cassation ?

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°366 du 30 mars 2012, avec le titre suivant : Perriand contre Prouvé

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