Un photographe débouté pour avoir insuffisamment caractérisé l’originalité de son œuvre.
PARIS - Le ciel serait-il tombé sur la tête de la troisième chambre civile, compétente en matière de droit d’auteur, du tribunal de grande instance (TGI) de Paris ? À lire certains commentaires, tel serait le cas ; à lire la décision rendue le 21 mai, certainement pas. En effet, les juges ont réalisé une stricte application de la nécessaire preuve de l’originalité d’une œuvre de l’esprit – ici une photographie de Gered Mankowitz représentant Jimi Hendrix –, lorsque ce caractère est dénié.
Pour être protégée par le droit d’auteur, une œuvre doit présenter un caractère original, c’est-à-dire résulter d’un « effort créatif », soit d’un travail de la part de l’auteur permettant alors à la création de sortir de l’ornière de la banalité, du fond commun. Seul ce travail, qualifié traditionnellement de « reflet » ou d’« empreinte » de la personnalité en ce qu’il se révèle intimement lié à l’auteur, offre une telle protection, sans qu’aucune formalité ne soit nécessaire.
Et une présomption d’originalité existe au profit des auteurs d’une œuvre de l’esprit, conformément à une jurisprudence fournie. Mais lorsque cette originalité est déniée par le supposé contrefacteur, elle doit alors être prouvée par l’auteur de l’œuvre reprise sans autorisation. Tel était le cas dans le présent litige opposant l’auteur d’une photographie et une société anglaise titulaire des droits patrimoniaux à une société ayant reproduit et détourné le cliché pour représenter Jimi Hendrix avec une cigarette électronique. Le tribunal rappelle, à très juste titre, ce principe en énonçant par ailleurs que « seul l’auteur, dont le juge ne peut suppléer la carence, est en mesure d’identifier les éléments traduisant sa personnalité et qui justifient son monopole ». De même, « le principe de la contradiction posé par l’article 16 du code de procédure civile commande que le défendeur puisse connaître précisément les caractéristiques qui fondent l’atteinte qui lui est imputée et apporter la preuve qui lui incombe de l’absence d’originalité ».
L’originalité n’est pas l’esthétique
Or, le photographe ne s’est nullement conformé à cette double exigence en se contentant de décrire l’esthétique de son cliché et non l’originalité de celui-ci, alors même que la jurisprudence de la CJUE (Cour de justice de l’Union européenne) offre depuis l’arrêt du 1er décembre 2010 un cadre précieux de démonstration, permettant de prouver l’originalité pendant les trois phases de création d’une œuvre photographique (phase préparatoire, prise de la photographie, tirage ou post-traitement). Seule l’esthétique du cliché était démontrée, esthétique renvoyant au mérite, condition indifférente à la protection par le droit d’auteur. Ainsi, l’artiste énonçait que son œuvre constitue « une œuvre fascinante et d’une grande beauté qui porte l’empreinte de la personnalité et du talent de son auteur ».
En l’absence de précisions sur l’origine des choix constitutifs des caractéristiques originales revendiquées, le photographe n’a donc pas mis les défendeurs en mesure de débattre de l’originalité de la photographie litigieuse et le juge d’en apprécier la pertinence. Une démonstration mieux menée devant la cour d’appel pourrait permettre, en revanche, la protection de cette œuvre. Le tribunal a donc fait œuvre de raison et, loin de fermer l’accès à la protection du cliché, appelle ainsi le photographe à se conformer aux exigences en la matière.
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Originalité à démontrer
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°439 du 3 juillet 2015, avec le titre suivant : Originalité à démontrer