Les pièces les plus rares de Gaetano Pesce, Joe Colombo, Olivier Mourgue, Maurice Calka, Eero Aarnio et Verner Panton rencontrent un succès grandissant depuis une dizaine d’années, sans atteindre pour autant les envolées du mobilier des années 1940 et 1950. Malgré la rapide progression des prix, nombre d’objets restent encore très abordables pour quelques milliers ou dizaines de milliers de francs.
PARIS - Dans les années 1960, un nouveau style de vie se faisant jour pour répondre aux besoins d’une société moderne, des architectes et designers créent une variété de meubles divertissants et colorés, en matières plastiques ou en fibre de verre, habillés de couleurs vives. Les techniques industrielles mises au point à la même période leur permettent de se livrer aux fantaisies les plus folles.
Il y a dix ans, seule une poignée de spécialistes s’intéressait à cette production qui débute à la fin des années 1950 et s’achève en 1973 avec la crise pétrolière. Depuis, la situation a beaucoup évolué ; actuellement, on ne dénombre pas moins d’une trentaine de galeries ne serait-ce qu’à Paris, et il n’est désormais pas rare de rencontrer des pièces de ces années-là chez des marchands non spécialisés.
Les prix ont eux aussi considérablement changé. Ainsi, l’enfilade de la série DF 2000 créée en 1967 par Raymond Loewy, l’un des rares meubles de rangement de cette période, se vendait environ 15 000 francs au début des années 1990. Actuellement elle se négocie autour de 30 000 francs. Toujours vers 1990, on pouvait acquérir aux Puces le lampadaire Fleurs (1967) d’Olivier Mourgue pour 1 000 francs environ. Il a trouvé acquéreur à 2 500 francs lors de la vente de l’étude Binoche du 8 décembre 1999 et se négocie désormais à plus de 3 000 francs. Le prix du fauteuil Elda (1963) de Joe Colombo – une coque en fibre de verre moulé garnie de coussins de cuir –, apprécié pour son côté futuriste, a doublé en dix ans pour avoisiner actuellement les 20 000 francs pour une édition ancienne. Le 28 janvier dernier, un salon complet de la série Djinn créée par Olivier Mourgue en 1965, comprenant un canapé, deux chauffeuses et un repose-pied, était enlevé à 40 000 francs lors d’une vacation de Me Cornette de Saint-Cyr. Il est vrai que ce salon constitue à lui seul un véritable mythe : Stanley Kubrick l’a utilisé dans 2001 : l’Odyssée de l’espace. Le canapé, seul, se négocie autour de 20 000 francs actuellement. Il valait deux fois moins il y a cinq ou six ans.
100 000 francs pour le bureau de Calka en forme de boomerang
Ces pièces sont toutefois assez courantes. Il n’est donc pas surprenant de relever des prix encore plus élevés pour des créations rares. Ainsi La Chaise (1963) de Grete Jalk a été adjugée 23 500 livres sterling (258 500 francs environ) lors de la vente Christie’s du 6 septembre 2000. Une enchère qui s’explique par l’aspect très 1950 de cette pièce en contreplaqué cintré et, surtout, par le très petit nombre d’exemplaires produits. Le bureau fétiche (1969) de Maurice Calka en forme de boomerang vaut près de 100 000 francs et le fauteuil Donna de Gaetano Pesce, très recherché, flirte avec les 90 000 francs.
Cependant, il faut noter que ces échelles de prix sont très relatives. Comme dans tous les autres domaines du marché de l’art, l’état de la pièce proposée influe lourdement sur son prix de vente. La production de ces années-là est la plupart du temps effectuée en matériaux très fragiles : les mousses s’effritent et les tissus s’altèrent facilement. Seules les pièces restaurées dans un état conforme à l’original gardent leur intérêt. Il est d’ailleurs paradoxal de noter que les collectionneurs semblent peu priser la “qualité musée” pour l’instant.
Le mobilier 1960 est soumis à des phénomènes de mode sans doute plus forts que dans d’autres spécialités. Ainsi, Ben, de la galerie XXO, l’un des pionniers du marché, note une évolution globale à la hausse des pièces de qualité, sans que pour autant des cotes puissent véritablement s’établir. Mais il remarque, comme ses confrères Éric Gros de Beler (galerie Soft) et Stéphane Rault (Dream On Galerie), que le public intéressé par cette esthétique évolue. Réservé aux professionnels de la mode, aux personnalités du show business et aux professions libérales, il y a encore quelques années, ce domaine s’est démocratisé ; en effet, certains meubles ou objets, fabriqués en grande série, sont assez abordables. Les prix des chaises, fauteuils et tables Tulip d’Eero Saarinen, dessinés entre 1955 et 1956, restent stables, malgré l’élégance de leur dessin, en raison d’une très abondante production. Il faut compter 1 000 à 1 500 francs pour la chaise. Cependant il existe des variantes dans cette série, le fauteuil peut être gansé de cuir et la table, généralement pourvue d’un plateau en marbre, peut se rencontrer avec un plateau en bois, ce qui fait monter les prix.
Machine “Valentine” et chaise volante “Plia”
Autre pièce accessible à toutes les bourses : la très célèbre machine à écrire Valentine – créée en 1969 et qui contribuera à la notoriété d’Ettore Sottsass –, pour laquelle il faut compter entre 800 et 1 200 francs. Encore moins chère, la chaise volante Plia (1969) de Giancarlo Piretti. Avec sa structure en acier chromé, assise et dossier en plastique moulé, celle-ci ne mesure que 2,5 cm d’épaisseur une fois pliée – une révolution à l’époque !
Il existe également une multitude d’objets décoratifs souvent non répertoriés dont les prix varient peu, tels que pommes et autres fruits en plastique, utilisés comme présentoirs à glaçons, cendriers, et briquets de table. On peut acquérir ces gadgets qui permettent de créer une ambiance à partir de 100-150 francs.
L’originalité du marché du mobilier des années 1960 ne réside pas seulement dans la très large diversité de prix et de pièces que l’on y rencontre. Si l’on excepte les Puces de Vanves ou de Saint-Ouen, où Nicolas Denis et Matthias Jousse – les seuls à avoir participé à un salon d’antiquaires – sont installés avec quelques marchands, tous les autres spécialistes sont absents des grands centres traditionnels du marché de l’art ancien de la capitale. Si certains, comme XXO, ont adopté un style résolument dépôt, d’autres, telle la galerie Kreo, installée auprès de galeries d’art contemporain dans le nouveau quartier de la Bibliothèque nationale François-Mitterrand (dans le XIIIe arrondissement de Paris), ont opté pour un esprit résolument branché. Cependant, tous accordent beaucoup d’importance à la convivialité de leur lieu de vente. Pour se plonger dans l’univers très coloré des années 1960, outre la fréquentation des galeries, une visite de l’exposition “Les années pop”, qui a lieu jusqu’au 18 juin prochain au Centre Georges-Pompidou, s’impose. Elle donne un bon aperçu de cette période qui est l’une des plus novatrices du XXe siècle, et, surtout, elle permet de s’initier à l’apprentissage difficile qui consiste à savoir reconnaître une pièce rare, d’une autre qui l’est moins. Ce qui est indispensable à qui veut se constituer une collection digne d’intérêt.
Les Puces du design
Créées en mai 1996 par le marchand Fabien Bonillo (galerie La Corbeille) et Aude Charié de l’agence Papyrus, les Puces du design sont devenues le point de rencontre des amateurs de mobilier pop. La 5e édition de cette manifestation a lieu du 11 au 13 mai, dans le quartier Montorgueil-Saint-Denis. Dès l’après-midi du vendredi 11 mai, 25 marchands proposent leurs dernières découvertes sur la place Goldoni et dans le passage du Grand-Cerf. Outre les spécialistes parisiens, 8 provinciaux ont fait le déplacement. Cette manifestation à l’esprit très convivial permet aussi bien de dénicher la pièce rare qui manque à une collection que de faire ses premières armes avec peu d’argent. Par ailleurs soucieux de valoriser ce domaine du marché de l’art, Fabien Bonillo prépare la création d’un nouvel événement plus international où seules les pièces n’étant plus éditées seront admises. Contact à la galerie La Corbeille tél. : 01 53 40 78 77 et www.pucesdudesign.com.
Les pièces non rééditées sont sans doute à privilégier dans le cadre d’une collection, comme par exemple les meubles des séries Up de Gaetano Pesce ou Module de Roger Tallon. D’autre part, il en existe qui, depuis leur création, sont toujours produites. Parmi celles-ci il faut distinguer celles dont la fabrication n’a guère changé, comme pour le fauteuil Elda de Joe Colombo, et celles dont la réalisation a connu des interruptions et des reprises de production multiples. C’est le cas de la Panton de Verner Panton, meuble emblématique car il est le premier siège moulé par injection en un seul bloc. Il a été réalisé dès 1959, puis réédité une première fois dans une matière différente par Hermann Miller, de 1968 à 1970. Depuis 1990, la production est reprise par Vitra. Outre les changements de matériaux, cette œuvre présente des caractéristiques différentes, telles que la présence ou non de renfort sous l’assise, ainsi que des épaisseurs et des aspects différents. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que les prix varient du simple au triple, voire plus, en fonction des éditions. Libre à chacun de juger s’il souhaite une pièce véritablement ancienne pour sa collection où une plus récente pour se meubler.
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Mobilier : le grand retour des années 1960
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- Charlotte et Peter Fiell, 1000 Chairs, Taschen, 1997. Philippe Garner, Sixties design, Taschen, 1996
- Anne Bony, Les Années 60, éditions du Regard, 1983.
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- Galerie de Beyrie 393, West Broadway New York – NY 1012 –USA Tél. : 1 212 219 95 65
- La Corbeille 5, passage du Grand-Cerf 75002 Paris Tél. : 01 53 40 78 77
- Design’70 3, rue Saint-François-de-Paule 06300 Nice Tél. : 04 93 80 42 62
- Galerie Christine Diegoni 47 ter, rue d’Orsel 75018 Paris Tél. : 01 42 64 69 48
- Dream On Galerie 70, boulevard Beaumarchais 75011 Paris Tél. : 01 43 38 50 25
- Nicolas Denis et Matthias Jousse Marché Paul-Bert, Allée 4, stand 180 110, rue des Rosiers 93400 Saint-Ouen Tél. : 06 60 46 10 94
- Galerie Kreo 22, rue Duchefdelaville 75013 Paris Tél. : 01 53 60 18 42
- Vingtième Siècle Marché Paul-Bert, allée 6, stand 93 93400 Saint-Ouen Tél. : 01 49 45 11 09
- Galerie Soft 27, rue de Charonne 75011 Paris Tél. : 01 43 14 22 50
- XXO 147, boulevard Davout 75020 Paris Tél. : 01 40 30 95 75
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°127 du 11 mai 2001, avec le titre suivant : Mobilier : le grand retour des années 1960