Art contemporain

Marcel Duchamp et Jean Dupuy en verre et conte tout

La Galerie Loevenbruck pointe quelques affinités électives entre les deux artistes

Par Henri-François Debailleux · Le Journal des Arts

Le 10 mai 2017 - 574 mots

PARIS - Il n’est pas si fréquent de voir Le Grand Verre de Marcel Duchamp. Et pour cause, il n’en existe que trois versions : l’original qui ne sort jamais du Philadelphia Museum of Art et deux répliques autorisées par l’artiste.

Celle réalisée par l’artiste Richard Hamilton pour la Tate Modern de Londres et celle d’Ulf Linde à Stockholm (Moderna Museet). Et puis il y a une reproduction méconnue qui a été offerte par les ayants droit, parmi lesquels Jacqueline Matisse-Monnier, au Collège Marcel-Duchamp (l’École municipale des beaux-arts) de Châteauroux. Celle-là même actuellement exposée en vitrine à la Galerie Loevenbruck. Il est encore plus rare de voir Le Grand Verre présenté de la sorte : devant lui, le facétieux Jean Dupuy a installé Le P’tit Rouge. Soit un verre à pied posé sur un socle, rempli de vin rouge. « Ce genre de bêtise que je pratique depuis ma naissance, ou presque », annonce le nonagénaire (il est né en 1925 et est installé à Nice). Depuis aussi sa découverte de l’écrivain Raymond Roussel, également très apprécié de Marcel Duchamp, et plus tard son goût pour les protagonistes de l’Oulipo (ce groupe de mathématiciens et d’écrivains parmi lesquels figurent Queneau et Perec). Car les affinités entre Duchamp et Dupuy sont nombreuses, « même si nous ne nous sommes jamais rencontrés physiquement, alors que je vivais à l’époque à New York », précise le second.

Ce verre de rouge s’inscrit dans le cadre des jeux de lettres et de mots que Dupuy a faits avec « vert » et « rouge » qui, selon les positions, donnent « trou » et « verge ». On connaissait la version qu’il a réalisée en néon, d’autres sont à découvrir ici, au travers d’un œilleton de voyeur dans une boîte ou dans deux cartes qui tournent comme sur un mange-disque. Le pont entre les « DU-DU » est manifeste dans un tableau où l’on peut lire dans la partie supérieure la phrase de Duchamp : « Faut-il réagir contre 1) la paresse des voies ferrées entre le passage des trains » et dans la partie inférieure celle de Dupuy : « 2) le passage des tirs par la voie serrée des fesses en transe ». Entre les deux, des lignes comme des fils et des raies relient toutes les lettres du premier énoncé à celui du second pour bien montrer qu’il s’agit là d’une parfaite anagramme. Cette figure ludique de style qui transpose les lettres d’un mot ou d’une phrase est l’un des grands dadas de Dupuy depuis 1973, au même titre que Duchamp puisait dans le contrepet. « Ma philosophie c’est de passer mon temps à faire des anagrammes. Le matin je me réveille et le plus vite possible je me mets à ma table pour en travailler », dit Dupuy, qui signe aussi « Ypudu » et qui, dans sa série « Peintures anagrammatiques », a l’art de mettre les mots en peinture, les lettres en couleurs, les phrases dans l’espace et les sens en lignes, comme en témoigne cette vingtaine d’œuvres (entre 8 000 et 38 000 euros) dont une dizaine sont récentes et inédites.

Erratum paru dans le Jda 481 du 9 juin 2017

Une coquille s’est malencontreusement glissée dans le texte issu de l’œuvre de Jean Dupuy et formant un anagramme dont il est traité dans l’article « Duchamp et Dupuy/ Galerie Loevenbruck » publié en page 43 du JdA no 479 (12 mai 2017). Il fallait lire : « [Fallait-il réagir contre] Le passage des tirs par la voie serrée de fesses en transe ? », et non « […] des fesses en transe ».

MARCEL DUCHAMP/JEAN DUPUY
Jusqu’au 27 mai, Galerie Loevenbruck, 6, rue Jacques-Callot, 75006 Paris.

Légende Photo
Jean Dupuy, Origine d'un genre, 1993, bois, moteurs et gouache sur papier, 11,5 x 18,5 x 6 cm. Courtesy galerie Loevenbruck, Paris. © Photo : Nicolas Calluaud.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°479 du 12 mai 2017, avec le titre suivant : Marcel Duchamp et Jean Dupuy en verre et conte tout

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