La foire fait coexister un secteur d’œuvres très formatées et commerciales avec une zone de découvertes, tous deux toujours très solides voire en progression.
LONDRES - « On trouve tout à la Samaritaine », affirmait l’adage attaché à feu le grand magasin parisien. « On trouve tout à Frieze », pouvait se dire le visiteur de la foire londonienne qui s’est tenue du 14 au 17 octobre.
Au hasard des allées : des écrans plats servant à regarder de la vidéo, mais aussi des lave-linge troués surmontés de maquettes d’Airbus (Yngve Holen chez Stuart Shave/Modern Art, Londres), ou encore une grande aubergine sur pattes posées sur un parterre de fleurs (Darren Bader, cédée par Sadie Coles, Londres, pour 90 000 dollars), voilà pour le pire. Des néons également, ceux traversant les toiles abstraites de Mary Weatherford dont le travail ne parvient pas à se renouveler, mais dont David Kordansky (Los Angeles) montrait des formats immenses à des prix ayant fait des embardées, entre 125 000 et 215 000 dollars. Chez Hauser & Wirth (Zurich), l’ambiance était carrément au supermarché sur un stand dédié à la sculpture, avec des œuvres de formats moyens, toutes posées sur des socles de même hauteur sagement alignés : pratique pour le shopping, le regard n’ayant même pas à se lever ou se baisser. Bienvenue à Frieze, ou peut-être « Welcome to Purgatory », ainsi que l’affirmait une phrase de Lutz Bacher inscrite sur la paroi du long couloir menant au saint des saints.
Une foire de débit, parfois trop commerciale
Les prix d’une artiste telle que Mary Weatherford laissaient songeur lorsque White Cube (Londres), qui n’est pourtant pas une galerie connue pour sa pratique de prix modérés, proposait une sculpture de Larry Bell pour 135 000 dollars. Voilà bien l’un des problèmes de ce salon : on y manque cruellement de perspective historique, ce qui peut conduire à tout mélanger. Si Chantal Crousel (Paris) relevait que « le public y est de plus en plus informé et sérieux, mais pas les “art advisors“ qui regardent tous les mêmes choses », elle ajoutait que « par rapport à Paris, il manque un fond historique (…) [qu’]il y a ici une ignorance ou une amnésie de l’art moderne qui n’existe pas à la Fiac. » Chez Mai 36 (Zurich), Victor Gisler ne disait pas autre chose, qui se plaignait qu’un jeune curateur d’une grande institution londonienne soit venu lui demander des travaux récents de General Idea… dont la production s’est arrêtée en 1994 à la mort de deux de ses membres ! « Les gens n’étudient plus et suivent l’air du temps », concluait-il. « Beaucoup achètent toujours avec leurs oreilles et vu que tout se passe sur les foires , il faut participer au système », pointait un galeriste lucide. Tandis qu’un de ses confrères rajoutait : « À Londres, il faut de la marchandise plus qu’ailleurs », à quoi il faut comprendre qu’on est dans une foire de débit ; le potentiel commercial londonien demeure conséquent.
Un salon, deux ambiances
Voilà tout le paradoxe de ce salon qui continue à se bonifier d’une manière générale, laissant au final le sentiment agréable d’une foire en voie d’amélioration, tout en affichant toujours autant de clinquant chez une part de ses exposants. C’étaient presque deux salons qu’il a été donné d’arpenter. L’un, correspondant à une grosse moitié de la manifestation et situé en face de l’entrée – où étaient regroupées nombre d’enseignes qui font le buzz – était invivable dès la première heure, tant il était saturé de monde. Plus loin, l’autre bien plus calme, avec un public attentif et moins éparpillé, des projets et de beaux accrochages, comme chez Foksal (Varsovie), Gavin Brown’s Enterprise (New York) ou Vermelho (São Paulo) par exemple. Comme en réponse à la surcharge de beaucoup d’accrochages, Lia Rumma (Milan), en exposant « seulement » trois pièces d’Ettore Spalletti et des mots en néon de Joseph Kosuth, prouvait qu’il est possible d’être une galerie importante avec des artistes de haut niveau sans se complaire dans le remplissage.
Le secteur Focus dédié aux jeunes galeries affichait aussi une belle qualité globale, qui permettait de faire des découvertes d’enseignes et d’artistes, sans doute bien plus qu’à la Fiac ou à Art Basel. Sur le stand de The Sunday Painter (Londres), Samara Scott faisait merveille avec une étendue d’eau au sol emplie d’objets et de peinture, qui semblait être un tableau organique. Certains y ont pris des risques en basant leurs propositions sur des films, comme Simon Preston (Londres) avec Amy Siegel, Fonti (Milan) avec Michel Auder, Sultana (Paris) avec Naufus Ramirez Figueroa… Des propositions qui imposaient un exercice de la durée.
« Tout le défi de cette foire est de réunir du facile branché et des projets pas évidents », pointait un protagoniste. Frieze est bien dans un entre-deux. Lutz Bacher avait raison : bienvenue au purgatoire !
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Les deux visages de Frieze
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Abonnez-vous dès 1 €L'œuvre de Samara Scott présentée sur le stand de The Sunday Painter, section Focus de Frieze, 2015. © Photo : Linda Nylind/Frieze.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°444 du 30 octobre 2015, avec le titre suivant : Les deux visages de Frieze