Maryvonne et François Pinault, propriétaires de la statue égyptienne controversée Sésostris III acquise à Drouot en 1998, ont rendu publique une analyse scientifique de tracéologie menée à leur demande par le laboratoire Maurer. Ce nouveau rapport conclut à une taille moderne de la sculpture et relance le débat sur l’authenticité de la pièce.
PARIS - La statue égyptienne représentant le pharaon Sésostris III, achetée à Drouot le 10 novembre 1998 par les époux Pinault pour environ 770 000 euros, revient à nouveau sur le devant de la scène. Le conservateur en chef du Musée égyptien de Berlin, le professeur Dietrich Wildung, ayant émis un doute sur l’authenticité de la sculpture, les acheteurs avaient immédiatement porté l’affaire en justice pour demander l’annulation de la vente. Une expertise judiciaire menée par deux spécialistes du Louvre, Christiane Desroches-Noblecourt et Elisabeth Delange, avait conclu à un chef-d’œuvre antique unique, soit une image posthume de Sésostris III réalisée à la fin du Moyen-Empire, quelques décennies après la mort du pharaon. Les Pinault furent déboutés en première instance par le tribunal de grande instance (TGI) de Paris le 31 janvier 2001, puis par la cour d’appel le 25 mars 2002. Depuis cette dernière date, on croyait l’affaire classée, mais c’était sans compter la pugnacité du couple de collectionneurs.
À leur initiative, la sculpture vient de faire l’objet d’un examen de tracéologie auprès du laboratoire français ASA de Francine Maurer, spécialisé dans la recherche appliquée à l’art et à l’archéologie pour authentification et datation par méthodes scientifiques. L’étude tracéologique consiste à rechercher par microanalyse et à interpréter les traces des outils qui ont servi à sculpter l’objet afin de permettre sa datation. Pas moins de quarante-trois zones de la statue ont été étudiées.
Les analyses effectuées ont permis de constater “des traces d’outils modernes généralisées et de loin les plus abondantes sur l’objet”, en l’occurrence pour “le travail de ciselage sur la face inférieure du socle ; le martelage et/ou le ciselage sur les faces planes du socle ; le raclage fin sur le corps du pharaon ; le piquage fin sur les plis en volume de la coiffe ‘némès’ et les plis arrondis du pagne ; les incisions profondes des détails anatomiques, yeux, tétons, ongles ; la gravure du collier, des hiéroglyphes de la ceinture et des inscriptions partiellement effacées”. D’autres traces à la morphologie fine répétitive sont typiques de l’utilisation d’une lame diamantée.
Quelques autres correspondent à un travail plus traditionnel, à l’aide d’outils en pierre. Selon le rapport du laboratoire, “ces différentes caractéristiques permettent de conclure que cette sculpture est un objet moderne”. Pour Chakib Slitine, l’expert de la vente, “cela ne prouve rien. La surface de la pierre a été dénaturée, puisque la sculpture a été repolie partout. De toute façon, l’affaire a été jugée et il n’y a plus rien à dire”.
Procès en révision ou dation en paiement ?
C’est bien là tout le problème pour les Pinault, qui se sont déjà vus refuser deux fois cette analyse par le tribunal. Et dans le rapport d’expertise rédigé par les deux experts du Louvre, il n’est envisagé à aucun moment de procéder à ce type d’étude scientifique. À cette éventualité, il est intéressant de noter la réponse de Mmes Desroches-Noblecourt et Delange, déposée chez Me Jean-Luc Gaüzère (le premier avocat des Pinault sur cette affaire) le 10 mars 2000, juste après la remise du rapport : “Il faut savoir qu’il est matériellement impossible, aujourd’hui, de réaliser quelque analyse que ce soit sur une pierre métamorphique, pour déterminer l’âge de la confection.” Quelques lignes plus loin, les spécialistes ajoutent : “Viendrait-il à l’esprit que la compétence de deux égyptologues ‘chevronnés’ soit contestée ?” Sans doute que oui, si l’on en croit l’acharnement des Pinault qui, en plus d’avoir commandé cette analyse scientifique, ont demandé à l’archéologue Luc Watrin une étude poussée sur les aspects anthropométriques, stylistiques et épigraphiques du Sésostris III. L’égyptologue, dont les recherches concluant à un faux moderne n’avaient pas été prises en considération par la cour d’appel de Paris, poursuit assidûment ses investigations (nous y reviendrons en détail dans un prochain numéro du JdA).
Les Pinault savent que l’étude du laboratoire Maurer, non contradictoire, ne peut-être retenue par la justice. Mais, forts ide ses résultats, ils espèrent relancer le débat, aboutir à une révision du procès (dont la procédure reste très difficile en France) et obtenir du tribunal la désignation d’un autre laboratoire qui effectuerait une nouvelle expertise scientifique judiciaire. C’est la méthode qu’ils ont utilisée pour la table Boulle (lire p. 26). On peut tout de même se poser une question : pourquoi n’ont-ils pas proposé la sculpture en dation en paiement au Louvre ? Ce n’est un secret pour personne que cela était prévu au moment de l’achat, conseillé aux collectionneurs par le musée lui-même. Car même si les Pinault ne croient plus en l’authenticité du Sésostris III, le Musée du Louvre ne pourrait refuser un tel don sans se désavouer, surtout après avoir écrit un si beau rapport.
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Le Sésostris III est-il un faux moderne ?
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°158 du 8 novembre 2002, avec le titre suivant : Le Sésostris III est-il un faux moderne ?