Le grand boom du marché chinois

Par Roxana Azimi · L'ŒIL

Le 26 juillet 2007 - 709 mots

Quand la Chine s’éveillera, le monde tremblera. Ce titre d’un livre d’Alain Peyrefitte (1973) s’avère plus que jamais prémonitoire, tant pour l’économie du pays que pour le marché de ses artistes.

Àl a faveur d’une maigre ouverture politique, opérée depuis dix ans, le monde artistique en mal de nouveautés s’est pressé aux portes de l’empire du Milieu. La Chine, elle, ne s’est souciée de son propre marché que depuis seulement deux ans, poussant la spéculation jusqu’à des records insensés.

L’autre révolution culturelle
Pendant longtemps, les artistes chinois se devaient de servir le peuple à grands renforts d’images idéalisées de Mao. À l’heure de la révolution culturelle, tout imaginaire « séditieux » était donc exclu.
En 1978, deux ans après la mort de Mao, s’amorce une politique d’ouverture avec l’organisation des premières expositions étrangères. De 1979 à 1980, le mouvement des stars multiplie les événements interlopes en réaction vis-à-vis du pouvoir. Avec la réouverture des académies, les premières promotions pointent vers 1983-1984. Les années 1985-1986 rappellent, mais dans une moindre mesure, la Movida de la société espagnole post-franquiste.
En 1989, à quelques mois des tragiques événements de T’ien an Men, l’exposition « China Avant-Garde » marque l’avènement de l’art contemporain chinois avec ses têtes de pont, Zhang Xiao Gang, Wang Guangyi et Zhang Pei Li. Une visibilité internationale s’amorce en 1997 à la Biennale de Venise qui expose quatorze artistes chinois. L’édition de 1999 sous la férule d’Harald Szeemann marque un tournant : 20 % des artistes invités sont chinois.

Record : 2,1 millions d’euros !
« Les premières réactions face à ces œuvres étaient de les traiter comme du sous-Bacon ou du sous-Pop Art. Les critiques n’ont pas compris pourquoi les artistes chinois avaient emprunté un vocabulaire proche de l’esthétique occidentale, observe le spécialiste Jean-Marc Decrop. Il faut comprendre que les changements que connaissent les Chinois aujourd’hui sont ceux que nous avons pu observer dans les années 1960. Leur imagerie consumériste est donc normale. En quinze ans, ils ont rattrapé l’ensemble du siècle. La seconde réaction était de dire que ce n’était pas assez chinois, car tout le monde a son rêve chinois qui ne coïncide pas nécessairement avec la réalité du pays. »
Les cotes de certains artistes flirtent aujourd’hui avec des sommets insensés. C’est le cas de Zhang Xiao Gang. Ce dernier peint des portraits dotés d’un léger strabisme, reliés par le fil rouge de la consanguinité. Sur un coin de leurs visages se détachent des petites lésions colorées, empreintes des douleurs passées. Zhang Xiao Gang a vu ses prix grimper à toute allure. En 1996, il était possible d’acheter ses tableaux pour 30 000 dollars à la galerie de France. En mars 2006 chez Sotheby’s, un de ses tableaux fut acheté par un Chinois de Singapour pour 979 200 dollars. Cette hausse spectaculaire s’est confirmée en novembre dernier chez Christie’s à Hong Kong. Une autre pièce, baptisée Tiananmen Square, a décroché le record de 2,3 millions de dollars.
Figure du réalisme cynique, Fang Li Jun a souvent représenté des personnages au crâne rasé et aux visages pétris d’ennui. Lui aussi a connu des embardées ahurissantes. En 2003, ses toiles se négociaient entre 80 000 et 100 000 euros. En octobre dernier, un de ses tableaux a atteint 478 400 livres sterling (702 400 euros) chez Phillips. Le record pour un artiste chinois revient toutefois à une œuvre de Liu Xiaodong. Ce tableau, intitulé Trois Gorges, fut adjugé pour 22 millions de yuans (2,1 millions d’euros) chez Baoli à Pékin. En 2001, la galerie Loft proposait des œuvres de cet artiste entre 8 000 et 35 000 euros sans trouver preneur… Un comble n’est-ce pas ?
Reste à voir pendant combien de temps ces artistes pourront surfer sur la coloration chinoise, donc perçue comme exotique, de leur art. Dans quelques années, la notion d’artiste chinois deviendra sans doute aussi absconse que celle d’artiste français ou albanais.

Repères

Zhang Xiao Gang
Adepte de la grande tradition d’une peinture à l’huile léchée, cet artiste s’est fait connaître par ses personnages dotés d’un léger strabisme et reliés par le fil rouge du souvenir.

Yue Minjun
Présenté par Harald Szeeman à la Biennale de Venise en 1999, Yue Minjun est réputé pour ses personnages riant toutes dents dehors. Un rictus aussi agaçant qu’agressif.

Liu Xiaodong
Bombardé depuis l’an dernier comme l’artiste chinois le plus cher, il s’est fait connaître par ses représentations de prostituées et de travestis dans une veine héritée du réalisme socialiste.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°591 du 1 mai 2007, avec le titre suivant : Le grand boom du marché chinois

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