Art moderne

Le chassé-croisé Rodin et Bourdelle

Par L'Œil · L'ŒIL

Le 9 novembre 2012 - 1146 mots

Ces deux pères de la sculpture moderne ont joui d’une grande notoriété de leur vivant. Mais si Rodin caracole aujourd’hui en tête des ventes, le marché semble bouder Bourdelle.

Auguste Rodin (1840-1917) a bouleversé l’histoire de la sculpture, d’abord avec L’Âge d’airain en 1877, puis Balzac en 1898 et L’Homme qui marche en 1900. La gloire de Rodin s’est perpétuée de son vivant jusqu’à aujourd’hui, avec des modèles d’un grand lyrisme comme le sensuel Baiser, adulé par les collectionneurs.

Émile Antoine Bourdelle (1861-1929) a été l’un des plus éminents sculpteurs de sa génération, plébiscité par ses contemporains et salué de par le monde. De 1893 à 1908, Bourdelle est engagé comme praticien par Rodin, qui deviendra un ami. Au tournant du siècle, Bourdelle, qui cherche sa voie, abandonne peu à peu le romantisme de Rodin pour se tourner vers la statuaire grecque et médiévale qu’il traite avec un esprit de synthèse. Cette évolution est manifeste avec la Tête d’Apollon (1900-1909) et Pénélope (1905-1912).

C’est en 1909, avec son Héraklès archer exposé l’année suivante au Salon de la Société nationale des beaux-arts, qu’il obtient la notoriété, la gloire et la fortune. Bourdelle a aussi marqué son époque par son enseignement : Alberto Giacometti et Germaine Richier, notamment, ont été ses élèves.
Aujourd’hui, les créations respectives des deux sculpteurs restent une référence du côté des institutions. Mais une dichotomie s’est opérée sur le marché de la sculpture, où Bourdelle n’a plus la cote, contrairement à Rodin. Même si les amateurs ont gardé un intérêt pour la Tête d’Apollon, Héraklès archer, Pénélope ainsi que pour les sujets patinés à la feuille d’or (pour leur aspect très décoratif), l’ensemble de l’œuvre demeure largement sous-évalué.

« Il y a une grande méconnaissance de la sculpture où le sujet prime. Non éduqués, les gens s’orientent vers les sujets faciles, comme la sculpture animalière qui domine par rapport à la figure humaine, constate le marchand Jean-Baptiste Auffray de la Galerie Malaquais. Rodin échappe à cela, car il a toujours séduit par son lyrisme. À présent, son nom est synonyme de marque. Bourdelle est à redécouvrir. »

« C’est vrai que Bourdelle n’est pas apprécié à sa juste valeur, note le galeriste Alain Richarme de l’Univers du Bronze. C’est un peu l’époque qui veut cela. Bourdelle a créé un art qui paraît plus austère, plus intello que celui de Rodin. Or la génération actuelle de collectionneurs ne veut pas s’embarrasser de réflexion intellectuelle, ni d’austérité. Bourdelle n’est plus à la mode. Mais la mode est changeante… Bourdelle ne peut pas éternellement rester à ces prix-là. »

« Le Penseur », l’icône absolue d’Auguste Rodin

Conçu à l’origine pour orner le centre de La Porte de l’Enfer, Le Penseur est la création la plus iconique de Rodin. Dès 1888, le sculpteur en fait une œuvre à part entière (qui n’est plus associée à la figure de Dante), une allégorie du génie créateur. « Ce qui fait que mon Penseur pense, c’est qu’il ne pense pas seulement avec son cerveau, avec son front, avec ses narines dilatées ou ses lèvres crispées, mais avec tous les muscles de ses bras, de son dos et de ses jambes, avec son poing serré et ses orteils contractés », a commenté Rodin. Parce qu’il est rare, Le Penseur est l’un des bronzes de Rodin les plus chers du marché. Pour un petit modèle, il faut compter autour de 500 000 euros pour une fonte posthume et 1,5 à plus de 2 millions d’euros pour une fonte d’époque.

Le Penseur (petit modèle), Auguste Rodin, modèle conçu vers 1880 (dans cette taille en 1903), bronze à patine noire, fonte vers 1925-1935, cachet du fondeur « Rudier Fondeur », signé. Hauteur : 37,3 cm.
Provenance : acquis par le père des actuels propriétaires directement auprès du fondeur.
Adjugé 681 600 euros le 19 août 2012, maison de ventes Artcurial, Deauville.

« Héraklès », chef-d’œuvre de Bourdelle

Représentant le sixième des douze travaux d’Hercule (l’extermination des oiseaux menaçants du lac Stymphale), le très moderne Héraklès archer est l’œuvre emblématique de Bourdelle. Marquant une rupture esthétique avec Rodin, la sculpture fit sensation lors de sa présentation publique à Paris en 1910 et signa la gloire de Bourdelle. Le sculpteur livre une image du héros grec tout en muscles, jouant entre pleins et vides, entre force brutale et équilibre du bras tendant l’arc stylisé et du pied s’appuyant sur le rocher. Nombre de grands musées internationaux possèdent un Héraklès archer. Tandis que le marché se dispute les rares réductions à des prix honorables, bien qu’en deçà de ceux de Rodin.

Héraklès archer, Émile Antoine Bourdelle, modèle conçu en 1909, huitième étude dite « modèle intermédiaire définitif », bronze à patine brun sombre signé, inscription au dos « Héraklès tue les oiseaux du Stymphale », fonte Alexis Rudier à dix exemplaires. Hauteur : 64,2 cm.
Adjugé 289 250 livres sterling (338 400 euros) le 10 février 2011, Christie’s, Londres.

Le succès du « Baiser »

Le Baiser est inspiré de la La Divine Comédie de Dante. Dès son exposition en 1887, l’œuvre rencontre le succès. Pour répondre à la demande, au moins trois cent cinquante épreuves (toutes dimensions confondues) ont été réalisées par Barbedienne du vivant de l’artiste. Ce modèle (troisième réduction) existe à plus de cent exemplaires. Malgré le très grand nombre de tirages, le bronze du Baiser, plus apprécié que Le Penseur, suscite encore aujourd’hui un incroyable engouement. « Il y a sept ans, ce modèle se vendait autour de 50 000 euros. À présent, il vaut dix fois plus en raison de la demande croissante mondiale », constate le marchand Alain Richarme.

Le Baiser, Auguste Rodin, modèle conçu en 1886, bronze à patine brun-vert richement nuancé, fonte réalisée entre 1910 et 1918, épreuve ancienne signée « Rodin », fonte et édition ancienne de « F. Barbedienne Fondeur Paris ». Hauteur : 39,5 cm, longueur : 26,5 cm, profondeur : 24,4 cm.
Prix : 600 000 euros, galerie Univers du Bronze, Paris.

Bourdelle sous-coté

Bourdelle aborde le thème cézannien de la Baigneuse accroupie (1906-1907) vingt ans après Rodin. La comparaison entre les deux sculpteurs s’arrête à la pose et à l’inspiration érotique du modèle. Car Bourdelle arrive à un moment de sa carrière où, tout en puisant dans la Grèce antique, il donne à ses sujets un traitement très moderne. Ce bronze grand modèle séduit les amateurs de sculptures d’extérieur. Dans sa version réduite (de 50 cm ou 25 cm), il est sous-coté et peine à dépasser les 30 000 euros, bien que le sujet soit plaisant.

Baigneuse accroupie au rocher, Émile Antoine Bourdelle, modèle conçu en 1906-1907, bronze à patine vert nuancé de brun-rouge, fonte vers 1960, épreuve authentique signée du monogramme habituel « AB », inscrit « © by Bourdelle ». Hauteur : 103 cm, longueur : 149 cm, profondeur : 72 cm.
Prix : 120 000 euros, galerie Univers du Bronze, Paris.

Où voir Rodin et Bourdelle

Musée Rodin à Paris, 79, rue de Varenne, Paris-7e, tél. 01 44 18 61 10, www.musee-rodin.fr

Musée Rodin à Meudon, 19, avenue Auguste-Rodin, Meudon (92), tél. 01 41 14 35 00, www.musee-rodin.fr

Musée Bourdelle, 18, rue Antoine-Bourdelle, Paris-15e, tél. 01 49 54 73 73, www.bourdelle.paris.fr

Où acheter Rodin et Bourdelle

Galerie Univers du Bronze, 29, rue de Penthièvre, Paris-8e, tél. 01 42 56 50 30, www.universdubronze.com

Galerie Malaquais, 19, quai Malaquais, Paris-6e, tél. 01 42 86 04 75, www.galerie-malaquais.com

Thématiques

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°652 du 1 décembre 2012, avec le titre suivant : Le chassé-croisé Rodin et Bourdelle

Tous les articles dans Marché

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque