En marge du marché, certains créateurs influencent dans l’ombre leurs coreligionnaires.
Les amis de nos amis sont nos amis, a-t-on coutume de dire. Il n’en va pas toujours ainsi des artistes de nos artistes. Si l’histoire les a inscrits dans le marbre, le marché ne semble pas encore prêt à les capter. Qu’est-ce qu’un artiste d’artiste ? Un créateur dont le travail, en marge des enjeux économiques, a servi de moteur à ses coreligionnaires. Or le phénomène d’appropriation ou de citation des suiveurs plaît davantage au marché que l’idée souche. D’après Catherine Thieck, directrice de la Galerie de France, à Paris, l’artiste d’artiste a quelque chose de médiumnique. Ainsi met-elle quelques « chamans » comme Antonin Artaud, Marcel Duchamp, Marcel Broodthaers, Joseph Beuys ou Yves Klein au rang d’inspirateurs. Du quintette, Klein est le seul à jouir d’une place dominante sur le marché, d’autant plus que la galerie new-yorkaise C&M semble résolue à rafler toutes les pièces passant en vente. Joseph Beuys profite aussi de prix solides pour des pièces uniques comme les panneaux en ardoise de la Documenta VII (1982), dont deux exemplaires avaient été cédés pour 1,5 million de dollars (1,2 million d’euros) par la galerie Gmurzynska (Cologne) sur Art Basel en 2004. Mais les artistes précités ont souvent peu produit et jouent parfois sur l’immatériel ou l’« action restreinte » – pour reprendre le titre de l’exposition du Musée des beaux-arts de Nantes (lire le JdA n° 216, 27 mai 2005)—, comme le coup de dé d’inspiration mallarméenne de Broodthaers ou le leitmotiv « perfect » de James Lee Byars. Quand des attitudes ne sont pas toujours formes… Certains artistes d’artistes connaissent un éclairage tardif grâce à leurs jeunes disciples, dans un mouvement qui n’est pas sans rappeler la mise en lumière de Lautréamont par les surréalistes.
Avec une gigantesque installation à l’affiche d’Art Basel en juin, le jeune artiste David Colosi témoignait de sa dette envers l’Américain Ed Kienholz, artiste d’assemblage dont l’impact se perçoit chez Christian Boltanski mais aussi dans certaines pièces de Louise Bourgeois. Malgré toute une filiation qui, consciemment ou non, s’y rattache, Kienholz n’en est pas moins au creux du marché. À Bâle, la Galerie de France affichait pour 400 000 euros Septet (1987-1988), une œuvre dont l’acquisition est en négociation avec un musée allemand. Chez Lelong, il ne fallait que 125 000 dollars pour des pièces de 1975. De son côté, l’artiste conceptuel néerlandais Stanley Brouwn ne jouit pas encore du revival observé par ses pairs comme Joseph Kosuth et On Kawara. Son retrait de la scène publique, jusqu’à son absence à ses propres vernissages, explique le voile persistant sur son travail. Les regards aiguisés avaient toutefois repéré sur Art Basel The Way Brouwn de 1961, itinéraire d’un point à un autre dessiné par des passants anonymes, proposé pour 34 000 euros par Yvon Lambert (Paris). Les choses se gâtent parfois lorsque le marché met le grappin sur les artistes d’artistes. Un phénomène que l’on observe avec John McCracken, présent dans la collection du Genevois Pierre Huber [lire p. 12]. Son propos sur la couleur pure s’est systématisé sous la pression de ses galeries. Pour preuve l’aspect formaté des planches récentes, dont on trouvait trois exemplaires pour 90 000 dollars chacun chez Zwirner (New York) sur Art Basel. Chez Almine Rech (Paris) en revanche, pour 60 000 dollars, on pouvait briguer une planche de 1985, réalisée au Nouveau-Mexique sous l’emprise de produits stupéfiants. Même les artistes d’artistes semblent difficilement se construire envers et contre le marché. À se demander s’il y aura encore à l’avenir des mentors imperméables aux modes.
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À la recherche des artistes d’artistes
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°219 du 8 juillet 2005, avec le titre suivant : À la recherche des artistes d’artistes