PARIS
Créée en 1969, la galerie de l’avenue Matignon cultive la discrétion et un réseau international de collectionneurs épris d’une peinture ancrée dans la tradition.
Paris. Rares sont les galeries parisiennes qui peuvent se prévaloir d’un demi-siècle d’existence. La galerie Taménaga aurait dû, pour sa part, fêter ses cinquante ans au printemps dernier. Mais elle a reporté cet anniversaire en octobre et le célébrera, à Paris, par une exposition de l’ensemble de ses artistes. Son catalogue compte quelques grands maîtres de l’art moderne, de Pierre Bonnard à Édouard Vuillard, ainsi que des représentants de l’École de Paris, comme Paul Aïzpiri, Marc Chagall ou Tsuguharu Foujita, qui ont fait son succès dans les années 1970 et 1980. Mais ce sont aujourd’hui les artistes contemporains qu’elle entend avant tout défendre, car ils sont, selon Tsugu Taménaga, le fils du fondateur, les garants de l’avenir de la galerie.
Moquette beige et adresse dans le triangle d’or parisien, la galerie a sa légende. Celle d’un amateur d’art amoureux de la France, Kiyoshi Taménaga qui tisse son réseau parisien au fil de voyages aux allures de périples et qui, à contre-courant de l’époque, dominée par l’abstraction, s’attache à collectionner et à promouvoir, dans les années 1960, la peinture figurative. Le marchand ouvre en 1969 sa première galerie à Tokyo en prenant le pari de faire découvrir à ses compatriotes la peinture impressionniste et moderne française. Il fait ainsi entrer dans les collections de musées nippons des toiles d’André Bauchant, Pierre Bonnard, Raoul Dufy, Maurice Utrillo… « Peu de Vuillard en revanche, qui était moins apprécié », précise, dans un français parfait, son fils.
Au fil du temps, son talent et son carnet d’adresses valent à Kiyoshi Taménaga d’acheter et de vendre des œuvres signées de grands noms de l’histoire de l’art, de Francisco de Goya à Pablo Picasso en passant par Jean-Auguste-Dominique Ingres, Amedeo Modigliani, Auguste Renoir. Il conseille alors les musées dans leurs acquisitions, comme celui de Yagamata, dans le nord du Japon, qui souhaite constituer une collection d’art français. L’artiste Bernard Buffet, au moment où son étoile pâlit dans l’Hexagone, trouve dans le marchand francophile un fidèle soutien qui lui ouvre l’accès au Japon. Les deux hommes signeront un contrat d’exclusivité pour l’Asie, où Buffet puisera son inspiration (série « Kabuki » et « Sumo ») et aura bientôt son musée, financé dans l’archipel par un investisseur privé.
Quel est, aujourd’hui, le modèle économique de la galerie Taménaga ? À Paris, sa clientèle est internationale constituée d’Européens, d’Américains, d’Arabes, de Libanais, assure Tsugu Taménaga. À Tokyo, son équilibre repose essentiellement sur le marché interne. Aucun des représentants du mouvement Gutai ou du pop art japonais n’est promu par la galerie qui n’affiche aucune star parmi ses artistes. « Je préfère me tenir à l’écart de ces phénomènes spéculatifs », tranche Tsugu Taménaga quand on évoque le succès d’un Takashi Murakami. Question de goût, aussi. On défend ici un certain classicisme, dont l’engouement pour les portraits de femmes à chapeau de Jean-Pierre Cassigneul est emblématique. La galerie va jusqu’à revendiquer une forme « d’humilité ».
Son extrême discrétion se traduit cependant moins par une aura de mystère que par un déficit de notoriété sur la scène parisienne. La Fiac ? Elle a cessé d’y participer voilà une quinzaine d’années. « C’est devenu très conceptuel, très contemporain », estime Tsugu Taménaga, qui lui préfère la Brafa ou Art Paris. Sur son stand, la galerie, qui en France promeut essentiellement les artistes japonais, a prévu pour cette édition de montrer cinq peintres : Naoya Egawa, Hiroko Otake, et Daiya Yamamoto, nés dans les années 1980 ; Shingo Muramoto (né en 1970) et Takehiko Sugawara (né en 1962). Les prix varient de 5 000 à 30 000 euros. Parmi ses artistes les plus en vue, citons aussi Kyosuke Tchinai (né en 1948) dont les portraits et les paysages tramés à la feuille d’or s’inspirent des techniques traditionnelles de l’estampe ukiyo-e, et dont la cote est comprise entre 30 000 et 60 000 euros, ou le peintre et illustrateur chinois Chen Jiang-Hong, installé à Paris depuis la fin des années 1980, reconnaissable à ses fleurs de lotus tirant vers l’abstraction lyrique, dont les toiles se vendent entre 9 000 et 30 000 euros.
« Si tu veux garder les meilleurs tableaux pour toi, sois collectionneur, pas marchand » : ce conseil paternel avisé sert de mantra à Tsugu Taménaga, qui se montre peu disert sur la collection familiale, laquelle comprendrait tout de même quelques chefs-d’œuvre « de Picasso, de Cézanne… » et serait la plus importante au monde de Kees van Dongen. La puissance de la galerie doit beaucoup aujourd’hui à ces trésors accumulés. D’autant que le marché japonais est plus que jamais friand d’art et de valeurs sûres. Il y a deux ans, en se promenant dans les rues de Kyoto, Tsugu Taménaga a remarqué un bâtiment du début du siècle dernier, un ancien entrepôt de saké disposant d’une hauteur sous plafond de près de huit mètres. Il s’est porté acquéreur et une galerie a ouvert en mars dernier. « Kyoto est une ville de tradition, ce n’est pas facile d’y présenter de l’art contemporain, mais j’ai pensé que cela pourrait être amusant », sourit-il. Après Tokyo, Paris, Osaka, c’est la quatrième adresse de cette enseigne dynastique : Kiyomaru Taménaga, fils de Tsugu et petit-fils de Kiyoshi, né à Paris et aujourd’hui âgé de 28 ans, a rejoint l’équipe et s’attache à découvrir les talents de demain.
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La galerie Taménaga, un pont entre Paris et le Japon
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°572 du 3 septembre 2021, avec le titre suivant : La galerie Taménaga, un pont entre Paris et le Japon