Foire & Salon

La Fiac et l’insoluble problème de la scène française

Par Amélie Adamo · L'ŒIL

Le 26 septembre 2019 - 1951 mots

PARIS

Si la Fiac a participé à remettre Paris sur l’échiquier de l’art contemporain, elle n’a pas (encore) réussi à montrer le dynamisme et la diversité de la scène française, notamment en peinture. Une diversité heureusement visible dans les marges, pour qui veut la voir.

Voilà plusieurs années que la Fiac a redoré son blason en se remettant à l’heure de l’international et que, à travers elle, le monde entier a de nouveau les yeux tournés sur Paris, qui réunit pour l’occasion les plus prestigieuses galeries, grands collectionneurs et conservateurs étrangers. Mais qu’en est-il de la visibilité des artistes français dans ce grand bain de l’art contemporain : bateaux fantômes disparus au large ou glorieux navires conquérants ?

Une présence mitigée

Comme chaque année depuis son installation en 2006 dans l’espace du Grand Palais, lorsque l’on parcourt la foire, une chose apparaît très clairement : les galeries françaises n’y sont pas bien mises à l’honneur. Bien sûr, elles sont pourtant présentes en quantité : cette année, 28 % des galeries sont françaises, ce qui demeure la norme si l’on considère le taux de représentation nationale dans les principales foires internationales, comme Art Basel ou Frieze. Mais elles y sont pourtant peu mises en valeur et mal représentées en matière de diversité. Qu’elles aient été refusées ou acceptées cette année par le comité de la Fiac, de Daniel Templon à Nathalie Obadia, Georges-Philippe et Nathalie Vallois, Marion Papillon ou Catherine Issert, de Suzanne Tarasieve à Anne de Villepoix ou Laurent Strouk, la majorité des galeries françaises de renom interrogées s’accordent sur ce fait : l’internationalisation de la Fiac a pénalisé et marginalisé la représentation des galeries françaises.

Certes, avec l’arrivée de Jennifer Flay et de Martin Béthenod, la foire parisienne s’est relevée d’une situation difficile : s’ouvrant au marché international et se dépoussiérant d’une image un peu trop conservatrice, la Fiac est montée en puissance face aux grandes foires étrangères et a retrouvé une certaine notoriété : sponsors et mécènes de prestige, retour des grandes galeries internationales, apparent renouveau avec la présence des galeries émergentes… Mais, dans cette dynamique, les meilleurs emplacements au centre de la nef du Grand Palais ont été monopolisés par les galeries étrangères, anglo-saxonnes essentiellement – vu le prix exorbitant des stands, seules les grandes enseignes ayant une force de frappe financière importante peuvent prétendre à une bonne visibilité dans les emplacements stratégiques –, et la plupart des galeries françaises ont été marginalisées, situées plus généralement en périphérie. Ce qui, de toute évidence, remarque Nathalie Obadia, « reste handicapant en termes d’image », puisque les artistes français « sont moins bien localisés ».

Contribuant à donner une perception négative des artistes français, cette « marginalisation » et « dévaluation » sont particulièrement dommageables, précise Daniel Templon, dans un contexte très fréquenté où il serait évidemment essentiel d’être valorisé, tout particulièrement aux yeux des grands collectionneurs et conservateurs étrangers, pour « développer le marché national ». Un problème d’emplacement auquel s’ajoute une mauvaise représentation des galeries françaises dans leur diversité, conséquence d’un manque de « turn over», souligne Marion Papillon, qui limite encore trop le renouvellement des enseignes. On constate ainsi qu’un grand nombre de galeries françaises de qualité (surtout de taille intermédiaire) sont systématiquement refusées depuis des années (exemples parmi tant d’autres : la Galerie Suzanne Tarasieve ou la Galerie Strouk), là où les grosses enseignes demeurent à chaque fois présentes.

Esthétiques dominantes ?

Que l’on ne se méprenne pas : le but de la Fiac, comme de ses concurrentes étrangères, est de s’inscrire dans le marché international, et non de représenter la création contemporaine ou la création nationale dans sa diversité formelle et sa force qualitative. Nécessité d’une réalité marchande qui sous-tend le problème de la représentation des galeries (meilleurs emplacements accordés aux mêmes grandes enseignes), mais qui influe aussi sur ce que l’on y montre. S’il est difficile de décrypter au grand jour les rapports souterrains d’influence entre comité et galeries (cooptation du jury, orientation dans les choix de tels ou tels artistes pour des raisons exclusivement stratégiques et commerciales), force est de constater, objectivement, qu’il demeure une impression de répétition, de déjà-vu, dans ce que l’on voit à la Fiac. Constat partagé par certains galeristes qui déplorent une époque passée où l’on pouvait encore voir à la Fiac des choses fortes, surprenantes, innovantes.D’autres marchands évoquent la difficulté actuelle de proposer tel ou tel artiste s’il est trop singulier ou s’il ne répond pas au diktat ambiant de ce qui est en vogue, à la mode : ici, l’esthétique de l’objet et du bricolage, là, du conceptuel, du post-minimal et de la post-abstraction.

Et la peinture figurative dans tout ça ? La grande disparue de la Fiac ? Pour Nathalie Obadia, les choses ont changé ces dernières années : « La diversité artistique est plus large » et la peinture figurative, qui fut longtemps « rejetée par une majorité des membres du comité », l’est moins aujourd’hui, avec l’arrivée de « galeries dites “jeunes” et plus expérimentales qui montrent plus facilement des artistes pratiquant la peinture figurative » et grâce à « l’influence de jeunes critiques d’art influents qui ont écrit ou exposé ces peintres dans des manifestations reconnues ». Il y a aussi, précise Nathalie Obadia, « des objectifs économiques et donc pragmatiques, car la peinture a la réputation de mieux se vendre ». Enjeu économique qui, souligne Georges-Philippe Vallois, demeure décisif qu’il s’agisse de peinture ou pas : « Ce qui est montré ou non n’est pas en lien à une question de médium ; ce qui est décisif, en revanche, c’est surtout une question de liaison avec le marché, avec les médias internationaux, avec les grands collectionneurs, c’est tout cela qu’attendent les foires : si vous avez demain un artiste français dont l’œuvre est achetée par les plus grands collectionneurs internationaux, on lui demandera d’être montré à la Fiac, qu’il soit peintre ou pas. »

Peinture française, la génération sacrifiée

Mais alors, qu’en est-il dans ce contexte international de la représentation de la peinture issue de la scène française (dont le marché reste faible par rapport à l’international et la cote des artistes, très en dessous de celle des artistes étrangers) ? Si l’on met de côté la peinture abstraite et l’omniprésence d’une idée contemporaine de la peinture (peinture-hybride-objet-sans peinture, inscrite dans une filiation post-duchampienne et conceptuelle), ce qui reste de la peinture figurative apparaît çà et là, à la Fiac, de façon minoritaire et partielle. Du côté des aînés, nombreux sont les disparus (malgré quelques exceptions) parmi les représentants des grands mouvements des années 1960 aux années 1980, de la Figuration narrative à la Figuration libre : à quand remonte la présence à la Fiac de Jacques Monory ? de Vladimir Velickovic ? Et celle de Philippe Favier, de Robert Combas, d’Hervé Di Rosa ou de Jean-Charles Blais ? Et du côté des plus jeunes ?

Un constat assez clair : en fait de « peinture » (attachée donc au renouvellement de l’image et à la réinvention des techniques traditionnelles), si l’on regarde la génération des peintres nés autour de 1970, d’origine française ou étrangers vivants en France, une majorité de ceux qui figurent parmi les plus talentueux de leur art demeurent soit absents systématiquement, soit présents très ponctuellement (jamais en solo show), soit disparus de la Fiac depuis de nombreuses années. La liste serait longue… de Simon Pasieka, Axel Pahlavi, Gaël Davrinche, Raphaëlle Ricol et Nazanin Pouyandeh à Ronan Barrot, Youcef Korichi, Cristine Guinamand, Stéphane Pencréac’h ou Marlène Mocquet…

Autant dire que, hormis quelques exceptions bien sûr, tout un pan de la peinture figurative française (ce qui se fait de meilleur à nos yeux) ne se voit globalement pas à la Fiac. Et que cette non-visibilité dépasse le contexte de la foire : combien de tous ces disparus de la Fiac, combien de ces grands peintres figuratifs actuels (qu’ils aient 45, 60 ou 80 ans), malgré le fait qu’ils aient derrière eux un réel corpus à présenter, ont eu droit à une rétrospective dans une grande institution nationale, là où certaines stars de l’art contemporain y ont déjà été exposées plusieurs fois ? À Beaubourg ? Au Musée d’art mo-derne de la Ville de Paris ? N’en parlons pas.

L’arbre qui cache la forêt

Au-delà de la Fiac donc, c’est l’activité globale de tout un pays qui pose ici un problème de fond : le manque de visibilité et de valorisation de la scène française dans sa riche diversité. Un « complexe » français, de « dévalorisation de notre histoire », note Catherine Issert, qui déplore que « l’institution française ne soit pas assez vigilante à ses propres valeurs ». Constat partagé par l’ensemble des galeries interrogées qui évoquent divers aspects du problème : des grands collectionneurs français qui préfèrent spéculer et acheter des stars internationales plutôt que de soutenir leurs propres artistes en redynamisant le marché national, des acteurs de l’histoire de l’art (critiques, commissaires, conservateurs) qui ne valorisent pas assez la scène française et ne se font pas assez le relais du travail de fond mené par les galeries, le manque d’engagement des institutions parisiennes dans la valorisation de la scène française, particulièrement pendant la Fiac, le fait que ce qui est montré à la Fiac soit devenu la valeur étalon et que seuls les présents qui y sont valorisés sont ensuite le plus défendus par les conservateurs ou collectionneurs français ou étrangers, la valorisation de quelques stars de l’art contemporain français au détriment de la diversité de toute une scène, le soutien de l’institution française aux artistes émergents, mais la difficulté à continuer à les promouvoir en milieu de carrière, le manque de reprise en France des expositions itinérantes sur nos artistes organisées à l’international.

Diversité de la scène française

Mais s’arrêter à ce constat négatif ne serait pas juste et demeurerait somme toute stérile. Ce serait occulter tout un pan d’une situation plus complexe. Comme le note justement le critique d’art et historien Philippe Piguet : « La Fiac ne doit pas être le seul référent, elle apparaît comme un point d’orgue, sorte de 14 juillet de l’art contemporain, mais, dans le fond, elle ne reflète pas la production contemporaine qui est bien plus intéressante dans sa diversité : la scène française met en jeu différentes formes structurelles, beaucoup d’artistes y travaillent, le paysage artistique y est varié, éclaté et complexe. » Pour appréhender cette diversité, il faudra sortir des sentiers battus pour aller voir ailleurs ce qui se passe, grâce aux initiatives de collectionneurs, critiques, commissaires, artistes : dans les ateliers, dans certains musées, galeries et centres d’art de province, dans les fondations privées, dans les foires off (Bienvenue, Galeristes…), nocturnes et autres expositions singulières que nous donnent à voir les galeries parisiennes en dehors ou pendant la Fiac – dans son loft, Suzanne Tarasieve unit, sous le thème de la forêt, scène française et allemande ; dans sa galerie, Anne de Villepoix montre le travail singulièrement hybride de Jean-Baptiste Hanak ; la Galerie Templon montrera en 2020 une série de nouvelles peintures de Philippe Cognée et Catherine Issert présentera une lecture rétrospective sur l’œuvre de Jean-Charles Blais.Ne pas oublier donc que tout un pan de la scène française, « disparu » parce qu’il n’est pas ou plus exposé sous les feux de la rampe d’un certain art officiel, est bel et bien présent : en marge, mais bien sûr il produit, expose, vend. Cette scène qui réunit divers artistes dont la plupart, s’ils ont des cotes plus faibles par rapport à l’international, s’ils sont moins médiatisés ou moins connus, ont des parcours qui s’inscrivent dans la durée et ont su conquérir de façon stable un certain public, des collectionneurs et des critiques fidèles : des temps de carrière bien plus longs que la plupart de ces jeunes étoiles qu’allume pour spéculer le marché anglo-saxon, dont les cotes montent très vite et très haut dans le ciel de l’art contemporain, pour s’éteindre aussitôt.

Foire internationale d’art contemporain,
du 17 au 20 octobre 2019. Grand Palais et Petit Palais, avenue Winston-Churchill, Paris-8e. De 14 h à 20 h le jeudi, de 12 h à 20 h le vendredi et de 12 h à 19 h le samedi et le dimanche. Tarifs : 38 et 25 €. www.fiac.com

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°727 du 1 octobre 2019, avec le titre suivant : La Fiac et l’insoluble problème de la scène française

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