PARIS
Portées par des collections d’exception constituées à l’abri des regards par de véritables passionnés, les bibliothèques font recette depuis deux décennies dans les ventes aux enchères.
France. Ces deux dernières décennies ont été marquées par des ventes mémorables de bibliothèques. Celles de Pierre Berès (35,3 M€), Daniel Filipacchi (11,2 M€), Pierre Bergé (26,3 M€), ou encore de Jacques Matarasso et Pierre Leroy en offrent des exemples fameux. L’année 2019 n’est pas en reste : après les dispersions chez Christie’s des bibliothèques Marc Litzler en février (4,4 M€) et Paul Destribats en juillet (8,1 M€), dans les semaines à venir ce sont les bibliothèques Jean-François Chaponnière (le 18 novembre) et Ribes (le 12 décembre) chez Sotheby’s, et celles de Martine de Béhague (1869-1939) et des comtes de Ganay (le 26 novembre) chez Christie’s qui passent sous le marteau. « Un hasard de calendrier », affirme Anne Heilbronn, directrice du département livres et manuscrits de Sotheby’s Paris.
Le succès des ventes de bibliothèques issues d’une collection particulière n’est pas un phénomène récent. « C’est un marché qui se porte bien, à condition que les exemplaires proposés soient de qualité et que les estimations soient lucides », reconnaît l’expert Bertrand Meaudre (librairie Lardanchet). Ce marché de niche relativement stable, suivant peu ou prou le marché global de l’art, est cependant très divers : couvrant six siècles depuis l’invention de l’imprimerie, il agrège de nombreuses thématiques. Certains collectionneurs s’intéressent uniquement aux livres de sciences, d’autres à la reliure ou à la littérature… C’est aussi un marché international, sans place de marché privilégiée. « Si la bibliothèque est composée majoritairement d’ouvrages de sciences français, Paris est le lieu de vente privilégié, tandis que des incunables allemands ou de la littérature russe sont plutôt cédés à Londres », explique Adrien Legendre, directeur du département livres et manuscrits chez Christie’s Paris.
La vente aux enchères de la bibliothèque d’un seul collectionneur, qu’il soit bibliophile ou écrivain suscite toujours l’appétit des collectionneurs, « car en général, la collection a été constituée par une personne, qui, tout au long de sa vie, a sélectionné les ouvrages avec amour, en l’affinant au fil du temps », souligne Anne Heilbronn – en 2015 Sotheby’s avait orchestré la dispersion de la collection Stéphane Mallarmé (4,5 M€). Ces collections renferment souvent des exemplaires très particuliers, « presque le plus bel exemplaire dans chaque catégorie », note la directrice, objet que le collectionneur a mis du temps à trouver et qui n’est pas passé en vente depuis longtemps.
Ces bibliothèques de collectionneurs permettent aussi, autre attrait économique, de raconter une histoire. « Dans la collection, il y a une logique, une cohérence qui n’existe pas dans la vente composée de livres de divers vendeurs. Chaque collectionneur a sa marotte, sa passion », relève Adrien Legendre. « Surtout, lorsque son propriétaire sait surprendre par son goût, son audace, son catalogue ; par des acquisitions inconnues du marché, par sa discrétion – comme c’était le cas pour Marc Litzler, peu connu du milieu –, il est normal d’assister alors à des records », observe Bertrand Meaudre.
Souvent, la nature même de la bibliothèque joue en faveur du succès de la vente. « Les thématiques (“éditions originales françaises”, “reliures”, “bibliothèques de châteaux”…) marchent très bien et sont généralement attendues, plus que les ventes composées », souligne Anne Heilbronn. Même constat pour les ouvrages liés à la science : un texte scientifique de Newton s’est vendu 3,7 millions de dollars (3,3 M€) chez Christie’s en 2016.
Les livres d’artiste, illustrés par Miró, Picasso, Léger… ont également le vent en poupe car ils permettent aux collectionneurs de posséder à la fois une œuvre d’un grand maître du XXe siècle à un prix relativement abordable et un texte majeur. Mais si Proust, Apollinaire, Stendhal sont toujours en vogue, les textes classiques apparaissent un peu démodés : Racine et Molière, par exemple, qui se négociaient très bien dans les années 1980, se vendent plus difficilement aujourd’hui.
« En bibliophilie, la provenance est très importante, qu’elle date d’hier ou d’un siècle ou deux », assure Anne Heilbronn. Elle ajoute une valeur significative à l’ouvrage. Certaines d’entre elles sont mythiques, à l’exemple de Charles Nodier (grand bibliophile de la première moitié du XIXe) ou de Jean Grolier, trésorier de France, mais aussi de Jean-Baptiste Colbert, Augustin Renouard, Raphaël Esmérian, Henri Beraldi…
Quid des acheteurs ? « Il y en a beaucoup trop pour les catégoriser !, lance Adrien Legendre. Les profils sont variés : des chercheurs, des universitaires, des institutions… ».« Ce sont avant tout des passionnés capables d’acheter une édition originale à 1 000 euros ou un ouvrage à 1 million », confie Anne Heilbronn. Si la vente est composée majoritairement d’ouvrages français, elle attirera logiquement davantage d’acheteurs français. En revanche, le thème transversal de la bibliothèque Paul Destribats, qui comprenait des ouvrages des avant-gardes de tous les pays de 1909 aux années 1980, a attiré non seulement des acheteurs du monde entier, mais aussi « des collectionneurs qui ne s’intéressent d’ordinaire qu’au design ou à l’art contemporain », rapporte Adrien Legendre.
L’affaire Aristophil [du nom de la société qui a poussé des milliers d’épargnants à investir dans des manuscrits surévalués, NDLR], « a surtout eu une répercussion négative sur le marché des autographes et manuscrits – c’est le moment d’acheter – son impact sur le livre étant presque insignifiant », constate Bertrand Meaudre. « Il a fait du tort au marché dans le sens où les gens ont pu penser que le moindre manuscrit valait de l’or. Au final, la disparition d’Aristophil a permis de retrouver une certaine raison », ajoute Adrien Legendre.
Selon Bertrand Meaudre, les ventes de bibliothèques devraient croître dans l’avenir : « J’ai le sentiment que le livre n’est plus un objet de transmission. Depuis une quarantaine d’années, les collectionneurs apprécient de pouvoir organiser de leur vivant la vente de leur bibliothèque. Nous n’assistons donc plus à leur éclatement qui pouvait donner lieu à des ventes constituées de lots de différentes provenances. »
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La bibliophilie fait les beaux jours des enchères
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°531 du 18 octobre 2019, avec le titre suivant : La bibliophilie fait les beaux jours des enchères