Art contemporain

ART CONTEMPORAIN

Kapwani Kiwanga derrière les miroirs

Par Henri-François Debailleux · Le Journal des Arts

Le 4 juillet 2018 - 491 mots

L’ artiste franco-canadienne s’expose à la lumière filtrée de la galerie Jérôme Poggi.

Paris. Chaque exposition, et notamment à Paris, de Kapwani Kiwanga est un mini-événement. Après le Jeu de paume en 2014, c’est la deuxième qu’organise la galerie Jérôme Poggi – laquelle a par ailleurs présenté trois solo shows de l’artiste dans des foires (dont la Fiac en 2015). Surtout, la fulgurance de sa carrière attire l’attention. Cela ne fait en effet que dix ans, après avoir suivi des études d’anthropologie et de religions comparées à Montréal, un programme « La Seine » aux Beaux-Arts de Paris et un autre au Fresnoy (Tourcoing), que la Franco-Canadienne (née en 1978 à Hamilton au Canada, d’un père tanzanien) est apparue sur la scène artistique. Kapwani Kiwanga est aujourd’hui parmi les plus visibles sur le plan international avec pas moins d’une douzaine d’expositions personnelles réalisées dans des lieux prestigieux, tel le MIT de Boston qui l’accueillera l’an prochain. Si l’on ajoute qu’elle a été lauréate du Frieze Award Artist à New York en mai, on comprend plus encore que les regards se portent sur elle. C’est d’ailleurs une question de regard, et même de « voir sans être vu », dont il est question dans l’œuvre centrale de l’exposition. Intitulée Jalousie, cette grande sculpture prend la forme d’un paravent en acier composé de quatre panneaux qui alternent miroirs sans tain et persiennes, comme autant de dispositifs d’observation et de réflexion sur les architectures disciplinaires. L’artiste connaît Michel Foucault et son Surveiller et punir. On peut aussi penser au roman La Jalousie, dans lequel Alain Robbe-Grillet évoque si bien les ombres ou lumières filtrées, projetées sur le sol et les meubles au travers de jalousies.

Le filtre et le végétal

Le filtre se trouve également au centre et en surface de deux grands tableaux-reliefs, l’un noir et l’autre bleu, qui sont réalisés avec du « Shade Cloth » tendu, une sorte de tissu ajouré destiné à favoriser la culture de plantes déplacées de leur milieu d’origine en tamisant la lumière. Élaborés avec une extrême précision, ils jouent avec la transparence ainsi qu’avec le spectre chromatique et rappellent l’intérêt de l’artiste pour les matières végétales, à l’instar des fibres de sisal à l’aide desquelles elle a déjà réalisé de grandes installations. Le déplacement et la couleur sont encore le sujet de ces feuillets reproduits d’après The Negro Motorist Green Book (Victor H. Green). Un livre de triste mémoire qui, publié de 1933 à 1966, recensait pour chaque État américain la liste des seuls hôtels, restaurants, stations-service auxquels les Noirs pouvaient avoir accès. Kapwani Kiwanga, dans la tradition conceptuelle et minimaliste qu’elle affectionne, efface ici le nom des établissements pour n’en garder que l’adresse et dessiner une sorte de cartographie des fantômes.

Entre 2 000 euros pour une page de Green Book et 50 000 euros pour l’importante Jalousie, les prix restent décents pour une artiste qui, déjà présente dans d’importantes collections privées comme publiques, a indéniablement le vent en poupe.

 

kapwani kiwanga, surface tensions

jusqu'au 31 juillet, galerie Jerôme Poggi, 2, rue Beaubourg, 75004 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°505 du 6 juillet 2018, avec le titre suivant : Kapwani Kiwanga derrière les miroirs

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