Vous avez ouvert votre galerie en 2003 dans le 19e arrondissement. Vous avez récemment déménagé pour le 20e. N’est-il pas problématique d’être excentré ?
Paris, ce n’est pas que le Marais, la rue Louise-Weiss ou Matignon. On ne peut pas se plaindre d’une logique de provincialisme de la France et, en même temps, tout centraliser au sein même de la ville. Les premières années, une galerie doit être concentrée sur son programme, ses artistes. Il vaut mieux être en retrait et laisser à chacun le soin de nous découvrir. Il est préférable de ne pas avoir trop de public au début, mais des visiteurs qui prennent le temps de lire les dossiers, des gens qui viennent pour la galerie et non par hasard. Il est plus excitant de construire que de faire un « coup » et voir l’effet de curiosité refluer. C’est plus facile de construire dans le désert.
Vous participez pour la première fois à la Foire de Bâle, dans la section « Art Statements » avec l’artiste Clemens von Wedemeyer. En quoi ce secteur est-il stratégique pour une jeune galerie ?
Une galerie, ce n’est jamais qu’une liste d’artistes. La meilleure façon d’émerger, c’est à travers ses artistes. Dans « Statements », les galeries apparaissent derrière eux. C’est sans doute la section la moins commerciale de la foire, avec des œuvres très difficiles à vendre. Pour une jeune galerie, le challenge essentiel est d’être synchrone avec la carrière de ses artistes. S’ils arrivent à entrer dans des collections ou musées importants, il faut que la galerie soit, elle aussi, visible à un haut niveau. L’enjeu de la Foire de Bâle est là. La participation à « Statements » permettait aussi d’accéder à « Art Unlimited », où je montre une œuvre de Julius Popp. C’est le seul contexte possible pour présenter une très grande pièce de 10 mètres de long, Bit-fall, axée sur l’idée du recyclage permanent de l’information. C’est aussi le moment adéquat pour l’artiste. Il est entré dans des collections importantes comme celles de Saatchi ou de Mobberley-Springmeier. Une dizaine de galeries lui courent après et c’est à moi de lui offrir la visibilité qu’il mérite. Le marché est facile, et c’est l’occasion de prendre des risques qu’on ne prendrait pas nécessairement à d’autres moments, car l’œuvre coûte plus de 40 000 euros en production.
Pensez-vous que la génération des Guillaume Leblon ou Gregory Forstner, deux artistes français de votre galerie, soit plus armée que celle de leurs aînés pour se confronter au marché international ?
Cela dépend plus des artistes que d’une génération. Les artistes sont tous un peu stratèges, souvent plus que les galeries. Guillaume Leblon a notamment une qualité, celle de dire non lorsqu’il n’est pas certain que son travail sera présenté de manière satisfaisante. Le modèle d’avoir dix galeries dans le monde n’est d’ailleurs plus valide. Je ne crois pas plus au marketing outrancier. Je ne sais pas si les artistes français doivent forcément se « jeffkooniser », à moins que cela aille dans le sens de leur travail. Est-on obligé de ne détenir que des sous-produits de Cattelan ou de Koons ? Ce serait ennuyeux si le champ de l’art était uniquement constitué d’artistes qui travaillent sur leur marketing. Le fait que Guillaume Leblon ait une exposition personnelle en juin au prestigieux Kunstverein de Düsseldorf montre bien qu’un travail antispectaculaire et difficile peut s’exporter à l’étranger. Il faut aussi cesser de fantasmer sur New York. C’est une caisse de résonance qu’il ne faut pas travailler directement. Il vaut mieux travailler l’Allemagne que directement les États-Unis. Les liens entre les commissaires allemands et américains sont forts et servent de relais.
Votre liste compte une majorité d’artistes allemands pour lesquels vous êtes le seul représentant. Comment expliquez-vous qu’une galerie française soit la galerie mère de jeunes artistes allemands ?
Avant d’ouvrir ma galerie, j’ai fait un grand travail de recherche en Allemagne et en France. Mon programme est très lié au dialogue établi avec Alexander Koch, ancien assistant à l’École des beaux-arts de Leipzig [Hochschule für Graphik und Buchkunst]. Aucun de mes artistes n’a de galeries en Allemagne. Je fais même un travail d’exportation d’artistes germaniques outre-Rhin, où ma galerie est déjà très connue. Les Allemands sont intrigués par le fait que j’ai une expertise de la scène de Leipzig autre que celle picturale. La peinture à Leipzig est un écran de fumée qu’il faut traverser. De très bons artistes allemands ne sont pas représentés par des galeries en Allemagne, alors que des milliers de peintres médiocres le sont.
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Jocelyn Wolff, galeriste d’art contemporain
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°239 du 9 juin 2006, avec le titre suivant : Jocelyn Wolff, galeriste d’art contemporain