Plastique

Gérard Deschamps au rayon art

La galerie Thibault de la Châtre expose les plus récentes « Pneumostructures » du Nouveau Réaliste

Par Gaël Charbau · Le Journal des Arts

Le 18 octobre 2011 - 680 mots

PARIS - « Yes we cannot », l’exposition de Gérard Deschamps à la galerie Martine et Thibaut de la Châtre, à Paris, débute dès son titre par un jeu de mot dont l’artiste est friand : allusion à la campagne électorale de Barak Obama et clin d’œil au Canot de survie, la première œuvre de la série des « Pneumostructures » de 1964.

Voilà donc déjà plus de quarante-sept ans que Deschamps fouille le grand magasin qui constitue notre quotidien pour en extraire des bouées gonflables, des canots, des frites de natation et autres bateaux et joujoux bariolés de mots, de motifs, de flaques de couleurs fluorescentes « made in China ». Un déferlement de plastiques colorés contre lesquels, assurément, la peinture à l’huile de la fin des années 1950 en France ne pouvait plus lutter.

Hains pour complice
Paradoxalement, Deschamps pratiqua cette peinture jusqu’en 1955, contre l’avis de son père, un industriel polytechnicien qui lui interdisait, enfant, cette honteuse manie : l’artiste se dissimulait en effet derrière les meubles de la demeure familiale pour peindre. Un père qui n’accorda pas une plus grande estime à l’art contemporain quand son fils en devenait pourtant une figure importante, à tel point qu’il n’a, semble-t-il, vu qu’une seule exposition de Deschamps: celle que la Fondation Cartier pour l’art contemporain lui consacra en... 1998 ! Au dos du catalogue édité à cette occasion, figure une citation éclairante sur le chemin parcouru par l’artiste, depuis ses premières années picturales : « Je n’ai pas abandonné la peinture. J’ai constaté qu’elle n’était pas seulement dans les tubes »… Une manière presque pudique de dire les choses, pour celui qui a maintenu, depuis l’époque « Nouveaux Réalistes », une exigence radicale quant à l’économie de ses moyens. « Dans son attitude et dans ses commentaires, Deschamps est un personnage réservé, en retrait, d’une poésie immense », confie sa galeriste, Martine de la Châtre.

En réalité, Deschamps n’a peut-être pas tout à fait « rompu » avec la peinture, il a plutôt trouvé un moyen de la dépasser, en détachant ce réel à lui-même pour le présenter directement aux yeux du public, extrudé de son environnement, sur les murs des galeries. Il partage en cela le point de vue de Raymond Hains, son véritable ami et complice au sein des Nouveaux Réalistes, pour lequel le réel lui-même était le tableau.

Arc brisé
Chez Deschamps, ce réel devenu œuvre acquiert toutefois une étonnante densité. Familier des bons mots, les titres de ses pièces ouvrent des pistes d’interprétation assez claires quant à la vacuité de nos contemporains : une œuvre comme Homo Ferraricus (2011) donne le ton. Il s’agit d’une pataugeoire gonflable multicolore en forme d’automobile, au centre de laquelle se dresse un petit homme en slip, dont le visage adulte est flanqué d’un sourire niais surmonté d’un regard idiot. Outre l’amusante rupture d’échelle, le personnage « dressé » semble tout bonnement éberlué, inconscient de sa misérable condition… Une autre, plus « sérieuse », présente un grand canot pneumatique posé à la verticale contre le mur, du haut duquel est suspendu, grâce à l’une des poignées de transport en plastique noir, un gilet de sauvetage jaune. Outre le choix « harmonieux » des couleurs, le titre ne manque pas d’étonner : Voûte d’ogive, Club 400 (2011) – « Club 400 » est la marque du bateau, sérigraphiée sur son flanc gauche. L’embarcation, placée dans cette position, prend en effet la forme d’un arc brisé, et le gilet de sauvetage vient par analogie évoquer un encensoir suspendu à la croisée d’ogive… Serions-nous en présence, ici, d’une vue de l’esprit ? En présence en tout cas d’un artiste qui maîtrise tellement son vocabulaire qu’il n’est pas nécessaire de prendre le spectateur par la main. La matière première de ses œuvres – ce vulgaire plastique –, nous la connaissons par cœur, elle fait partie de nos gènes. Le terrain mental vers lequel Deschamps la déplace, en revanche, ne cesse de s’enrichir : chaque œuvre amplifie la compréhension du dessein de l’artiste.

GERARD DESCHAMPS, YES WE CANNOT

Prix des œuvres :de 5 000 à 25 000 euros

Jusqu’au 29 octobre, Galerie Martine et Thibault de la Châtre, 4, rue de Saintonge, 75003 Paris, tél. 01 42 71 89 50, du mardi au samedi 11h-19h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°355 du 21 octobre 2011, avec le titre suivant : Gérard Deschamps au rayon art

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