Quel est le rôle des douanes dans la lutte contre le trafic des biens culturels ?
La Direction générale des douanes et droits indirects est depuis longtemps engagée dans le contrôle des mouvements d’œuvres d’art, puisque la France est anciennement dotée d’une législation de protection encadrant les exportations. Les douanes contrôlent les mouvements d’œuvres d’art sur le territoire national et communautaire, en collaboration étroite avec le ministère de la Culture. La Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières ainsi que le Service national de douane judiciaire sont deux services spécifiquement dédiés à la lutte contre la fraude.
Sur quelles catégories d’objets s’effectuent les contrôles ?
Les réglementations nationale et communautaire distinguent trois types d’objets. Les trésors nationaux, par exemple les collections publiques et les monuments inscrits à l’inventaire des Monuments historiques, ne peuvent quitter le territoire national que de manière temporaire, pour une exposition par exemple, et selon une procédure très stricte. Soumis à la délivrance d’un certificat de libre circulation, les biens culturels sont regroupés en quinze catégories fonctionnant selon des seuils de valeurs et d’ancienneté. Par exemple, un livre est un bien culturel s’il a plus de cinquante ans et s’il vaut plus de 50 000 euros. Les autres œuvres ne sont soumises qu’aux règles douanières classiques et circulent librement à l’intérieur de l’Union européenne
Quelles sont les statistiques en matière de fraude douanière sur les biens culturels ?
Nous avons une augmentation régulière des fraudes douanières depuis des années. 2008 a été une année record avec 54 affaires portant sur 2 270 saisies d’objets, pour 13,8 millions d’euros de valeur. En 2009, 59 affaires nous ont permis de saisir 804 œuvres d’art pour 9,8 millions d’euros de valeur. Les livres, manuscrits, lettres, gravures et dessins représentent 39,8 % de la totalité des biens interceptés en 2009, devant les tableaux (28,2 %). Les éléments démantelés (cheminées, colonnes, chapiteaux, boiseries…) continuent à être également un secteur sensible.
Quels contrôles exercez-vous à l’importation ?
Le dispositif juridique particulier est certes essentiellement orienté vers l’exportation, exception faite des objets irakiens suite au pillage du Musée archéologique de Bagdad en 2003. À l’importation, le service des douanes utilise ses pouvoirs généraux, sans se référer au caractère culturel. La mise en place d’un outil juridique à l’importation est un débat de fond, incontournable si on veut réellement parler de protection internationale, au-delà de l’engagement de bonne volonté. Cependant, il faut souligner que les constatations à l’importation (contrebande, fausses déclarations…) augmentent sensiblement. Les biens visés sont principalement des pièces d’archéologie et des objets d’arts premiers.
Quels sont les pays les plus sensibilisés au pillage de leur patrimoine ?
En général, les pays « sources » sont sensibilisés (Bassin méditerranéen, pays d’Afrique…). Plusieurs États d’Amérique latine sont mobilisés, tels le Pérou et la Colombie qui nous envoient régulièrement des informations sur les vols et pillages sur leur territoire. Mais, bien évidemment, il reste beaucoup de chemin à parcourir.
Par quels circuits opèrent les trafiquants d’art ?
Les circuits sont de plus en plus complexes, avec l’utilisation d’un pays relais, l’Espagne par exemple, pour les objets d’Amérique latine qui remontent ensuite en France, en Belgique et en Grande-Bretagne. On est vraiment sorti des sentiers battus, plus ou moins bien identifiés, pour exercer une forme de contrôle tous azimuts. Les techniques de dissimulation ont également progressé. Récemment, nous avons intercepté, à Roissy, des objets archéologiques authentiques dissimulés à l’intérieur de simples reproductions. Toutes les grandes places du marché de l’art, consacrées ou émergentes, constituent des destinations privilégiées pour les objets illicites. Dans ce secteur, le trafic irrégulier s’efforce toujours de se fondre dans le commerce licite. Les ventes publiques constituent un point de passage important. Dès lors qu’une transaction avec un acquéreur de bonne foi est effectuée, la récupération n’est souvent possible que dans le cadre d’un accord privé avec indemnisation. D’où un appel à la plus grande vigilance du côté des maisons de ventes.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Entretien avec Philippe Bock, enquêteur à la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières à Paris
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°329 du 9 juillet 2010, avec le titre suivant : Entretien avec Philippe Bock, enquêteur à la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières à Paris