BALE (SUISSE) [12.06.09] - La chronique d’aujourd’hui de notre envoyé spécial, s’intéresse en particulier à la section Design de la Foire de Bâle. Où l’on voit que les limites chronologiques du design remontent au Rococo.
Je l'ai retrouvé, mon tapis rouge (égaré hier place de la Gare). Il s'étend toujours à côté de l'arrêt du tram n°2… mais les organisateurs l'ont déplacé jusqu'à la Messeplatz. Non pas pour accueillir les visiteurs d'Art Basel, mais pour renforcer le côté glamour des Swiss Art Awards, de l'autre côté de la place. On y reviendra.
A 200 mètres de là, dans le Hall 5 du Messe Basel, se trouve désormais Design Miami/Basel. Ce nouveau lieu se révèle plus moderne, plus chic, plus rectangulaire et plus fonctionnel que le Markthalle en béton brut construit en 1929, utilisé jusqu'alors (et repris cette année par la foire satellite Volta, que nous visiterons demain). François Laffanour se déclare "ravi du changement" car, même s'il "adorait" l'architecture audacieuse du Markthalle, son emplacement (près de la gare) était trop excentré.
Superbement meublé de Perriand, de Royère, de Prouvé et d'Arad, sa Galerie Downtown présente le plus beau des 28 stands d'une foire dont les éclairages tamisés incitent à la contemplation, dans une ambiance paisible et révérencieuse. Les stands sont plus chics qu'à Art Basel, bien que certains soient immenses – signe, peut-être, que les organisateurs n'ont su attirer le nombre espéré de galeristes (la présence américaine s'est nettement réduite par rapport à l'an dernier). Dansk Mobelkunst et Philippe Denys, notamment, peinent à remplir leur stand. Ce dernier propose à la vente 12 chaises de Poul Kjaerholm (1960), mais une ou deux auraient suffi sur son stand, plutôt que toute une rangée ; contraste curieux, ses lampes suédoises télescopiques (remis à l'honneur par Vincent Colet à la Foire de Bruxelles de l'an dernier) sont quasiment entassées dans un coin de mur…
Si preuve en était de la difficulté à remplir cette cathédrale du Hall 5, elle viendrait de la présence de Philippe Perrin, avec un stand tout droit sorti de la Biennale des antiquaires de Paris. Après le Seurat de 1879 chez Krugier, nous voici donc, au cœur de l'événement numéro un du monde de l'art contemporain, devant une paire de miroirs siciliens en trapani du XVIe siècle : du pur rococo, en corail, bronze et émail blanc.
Perrin, pudique, semble gêné par sa présence baroque. "Franchement, je n'en aurais jamais eu l'idée !" avoue-t-il. "Quand Patrick Seguin et François Laffanour m'en ont parlé, j'ai trouvé que c'était une connerie sans nom !"
L'on peut comprendre que le kitsch classieux de ces miroirs exceptionnels (1,3 millions d’euros) puissent attirer un féru de Line Vautrin ; mais comment justifier la présence ici d'une énorme nature morte de Jeaurat de Bertry, également du XVIIe, banale de surcroît avec ses clés et son cor de chasse ?
Ici, on touche à un autre problème – là où les stands Design se passent de plafond, et n'accrochent jamais de tableau au mur, Perrin a reconstruit son habituel intérieur pseudo-versaillais. Pourquoi, au moins, ne pas avoir juxtaposé sa commode Boulle avec une œuvre du XXIe siècle ? Une telle synergie n'est-elle pas dans l'air du temps, voire preuve d'un goût (vervoordtien, par exemple) sachant transcender les barrières temporelles ?
Oui, reconnaît Perrin. "Mais je n'en avais pas le droit."
Si tel est le cas, les organisateurs de Design Miami-Basel ont raté leur coup. Dieu qu'ils se prennent au sérieux ! Des videurs en costume et lunettes noirs, qui attendent ostensiblement devant l'entrée VIP… un catalogue qui parle pompeusement d'un "environnement qui stimule le discours, la réflexion et la communauté…"
Heureusement, certains exposants (Johnson Trading, Tools Galerie) gardent cet humour et cette légèreté inhérents au bon Design. Mention spéciale pour le Carpenters Workshop de Londres, et leurs petits miroirs au sol, tremblotant par temps normal mais qui, dès qu'on s'y approche, pivotent subitement et se dirigent vers vous avec fracas et éclats (œuvre intitulée Audience, de Random International). Drôle et narcissique !
Et que dire d'un salon de Design où l'on trouve un fauteuil de Jacob mais aucune œuvre de Zaha Hadid (et deux seulement de Ron Arad) ? Des meubles de Carlo Bugatti et des bronzes de Rembrandt (Sebastian & Barquet), jusqu'aux tapis (au mur) de Takashi Murakami chez l'omniprésent Emmanuel Perrotin, l'on trouve de tout – la définition de "Design" s'élargissant tellement que l'on finit par perdre tout repère.
Paradoxalement, les quatre "Designers of the Future," à qui on a commandé des installations, sont contraints de se servir de plâtre et de miroir. Pourquoi les brider ainsi ?
Les Swiss Art Awards
Donc, comme promis, avant de reprendre le tram, nous voici sur le tapis rouge des Swiss Art Awards. Rouge écarlate, il nous mène fièrement jusqu'à l'escalator et sa vue imprenable sur le parking qui occupe le reste du rez-de-chaussée. A l'étage, un alléchant plateau parsemé de ce qui passe pour le meilleur de l'art suisse d'aujourd'hui, glorifié de pastilles géantes proclamant ici un Eidg. Preis, là un Prix Fédéral.
Deux œuvres s'imposent : China Pop, maison conçue par Reto Pedrocchi et Beat Meier, en polystyrène recouvert de popcorn (prix d'architecture) ; et Kletterer, installation de Christian Duss, avec son personnage grimpant sur une échelle, laissant derrière lui une hache et une paire de bottes (prix d'art). La raison de sa fuite précipitée se trouve en haut à gauche.
En attendant de partir, demain, à l'assaut des foires satellites, la question du jour : que faisaient les galeristes sur les salons, à l'époque où les ordinateurs portables n'existaient pas ?
Légende photo 1 : priant pour que ça marche, le public accourt vers Art Basel - © photo Simon Hewitt.
Légende photo 2 : Bien fait pour sa pomme ! Guillaume Tell rate la cible, mais le Kletterer de Christian Duss grimpe vers un Prix Fédéral aux Swiss Art Awards - © photo Simon Hewitt.
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