Donald Judd, Ed Ruscha, Thomas Struth atteignent des sommets

Les résultats spectaculaires des ventes de mai à New York commentées par Benjamin Brown, directeur général adjoint des Waddington Galleries de Londres

Le Journal des Arts

Le 14 juin 2002 - 1303 mots

Benjamin Brown, directeur général adjoint des prestigieuses Waddington Galleries à Londres et ancien vice-directeur du département art contemporain chez Sotheby’s Londres, a constaté l’excellente forme du marché avec les nouveaux records obtenus par des œuvres de Ed Ruscha et Donald Judd (Phillips, de Pury & Luxembourg et, ultérieurement, Christie’s), Louise Bourgeois, Asger Jorn, Tom Wesselmann, Robert Indiana, Julian Schnabel,
Jean-Michel Basquiat, Toba Khedoori, Nan Goldin, Thomas Struth, Thomas Demand, Rineke Dijkstra, Jenny Saville
et Cai Guo-Qiang (Christie’s), mais aussi Adolph Gottlieb, Richard Tuttle, Carl Andre et John Currin (Sotheby’s).
Il commente quelques-uns des résultats les plus significatifs de ces trois jours de ventes.

Gerhard Richter, 180 Farben
(est. de 2 à 3 millions de dollars), adjugé 3,97 millions de dollars
Anthony d’Offay – qui a annoncé qu’il se retirait de l’activité de marchand il y a neuf mois, mais qui continue d’œuvrer activement depuis les coulisses – a enchéri pour cette peinture “charte de couleurs”. L’œuvre, qui devait atteindre le prix le plus élevé de la soirée, a finalement été adjugée à un enchérisseur par téléphone. Quelle consolation pour Anthony d’Offay ? Il est le propriétaire d’une composition presque identique de même format dont il a fait l’acquisition au prix de 1,82 million de livres (2,6 millions de dollars) chez Sotheby’s, le 27 juin 2001.

Andy Warhol, Self-Portrait
(est. de 1,5 à 2 millions de dollars), adjugé 3,09 millions de dollars
Bien que Phillips ait obtenu la vente du plus grand et du plus cher des autoportraits aux cheveux dressés que l’artiste ait réalisé au cours des dernières années de sa vie, vendu à Peter Brandt au prix de 3,19 millions de dollars, tout le monde sur le marché s’accordait à penser que cette version, sensiblement différente, était l’œuvre la plus intéressante. Jouaient pour elle ses dimensions, ses couleurs et le fait qu’elle a été l’image sélectionnée par Anthony d’Offay pour son exposition des derniers autoportraits de Warhol en 1986. L’œuvre, mise en vente par le collectionneur Stephan Edlis, a été achetée par Natsuko Hadaka, responsable du service de conseil aux clients de la maison de ventes. Elle enchérissait peut-être pour le compte de Ho-jae Lee, propriétaire de la Gana Art Gallery de Séoul.

Marcel Duchamp, La Roue de bicyclette
(est. de 2 à 3 millions de dollars), adjugé 1,76 million de dollars.
Cette pièce, le plus ancien des ready-made de Duchamp – équipée de son piédestal qui n’est autre qu’un tabouret de cuisine sur lequel la roue de bicyclette est montée –, aurait dû atteindre le prix le plus élevé du groupe, mais elle n’a même pas obtenu l’estimation de la maison de ventes. Le marchand Jose Mugrabi était dans la course.

Marcel Duchamp, Porte-bouteilles
(est. de 800 000 à 1,2 million de dollars), ravalé.
Prévenus par le marché que leurs estimations pour Duchamp étaient un peu trop optimistes, Simon de Pury et son équipe ont sacrifié les prix de réserve et fait savoir aux acheteurs éventuels que toute proposition sérieuse serait prise en compte. Mais cela n’aura pas suffi à sauver cette œuvre qui n’a, tout comme La Pelle à neige, pas trouvé preneur. Le service bien rodé de relations publiques de Christie’s ou de Sotheby’s serait-il parvenu à de meilleurs résultats ? Ou l’approche plus discrète de la galerie Luhring Augustine (par qui l’œuvre a transité) serait-elle plus adaptée pour trouver un acquéreur ?

Donald Judd, Untitled
(est. de 3 à 4 millions de dollars), adjugé 4,63 millions dollars.
Mise en vente par le marchand de Los Angeles Irving Blum – qui avait acheté l’œuvre directement auprès de l’artiste en 1967, soit un an après sa réalisation –, cette sculpture unique de grand format avait été proposée à la National Gallery of Art de Washington, avant de se retrouver aux enchères où l’on attendait un nouveau record. Le fait qu’un record ait été établi chez Phillips le soir précédent – lorsqu’une sculpture murale en acier galvanisé, mise en vente par le collectionneur grec Dakis Joannou, a atteint 1,32 million de dollars – montre combien le présent lot était important ; la sculpture a été achetée par le spécialiste maison des transactions privées, Dominique Lévy, aux dépens du président de Barnes & Noble, Leonard Riggio. Le propriétaire de Christie’s, François Pinault, réinvestirait-il les bénéfices générés par la Flower painting d’Andy Warhol (lot 4), qui lui avait coûté 441 500 livres (728 425 dollars) chez Christie’s Londres le 10 décembre 1998 et qui vient de partir à 3,75 millions de dollars à l’occasion de cette vente ?

Francis Bacon, Study for Portrait of Henrietta Moraes
(est. de 5 à 7 millions de dollars), adjugé 6,71 millions de dollars.
Phillips a enregistré l’enchère la plus élevée de la semaine avec cette superbe peinture de Francis Bacon, l’un des sept lots mis en vente par Ernst Beyeler. Quatre de ces œuvres faisaient leur entrée dans le monde des ventes aux enchères. Mais pourquoi le marchand de Bâle a-t-il décidé de décrocher ce chef-d’œuvre, le plus riche de sa collection de toiles de Bacon, des cimaises de sa fondation de Riehen ? Ernst Beyeler serait-il en train de thésauriser dans l’intention de réaliser une acquisition vraiment spectaculaire ? Dans ce contexte, son nom a été associé au Portrait du docteur Gachet de Van Gogh, qui s’est vendu 82,5 millions de dollars il y a une douzaine d’années.

Thomas Struth, Mailänder Dom (Fassade)
(est. de 150 000 à 200 000 dollars), adjugé 317 500 dollars.
Cette image magnifique était depuis longtemps en passe d’obtenir un prix record et je nourrissais l’idée d’en faire l’acquisition pour alimenter le stock de la galerie. Mais j’ai dû m’incliner en salle des ventes. Les prix pour Thomas Struth ne sont en rien comparables aux estimations pour Andreas Gursky, mais il n’en est pas moins un artiste très apprécié sur le marché de la photographie contemporaine. Ce dernier a d’ailleurs explosé très rapidement, comme en témoignent ces simples données : en 1998, la galerie milanaise Monica de Cardenas proposait ce tirage au prix de 35 000 dollars. L’offre n’a pas pu répondre à la demande et les conséquences se font sentir aujourd’hui dans les salles de ventes.

Mariko Mori, Red Light
(est. de 80 à 120 000 dollars), adjugé 156 500 dollars.
C’est moi qui ai acheté cette photographie surprenante car j’ai bien l’intention de transformer les Waddington Galleries en galerie de second marché incontournable pour l’art le plus contemporain. Cette photographie, qui serait l’image emblématique de la première période de la courte carrière de l’artiste, était proposée à la vente par le collectionneur londonien et homme d’affaires international George Loudon, dont la collection avait été exposée dans l’ancien espace de Christie’s à Clerkenwell en 2000. Les plus belles pièces de cette collection étaient présentées dans le catalogue et dans les ventes en journée qui ont suivi.

Ed Ruscha, Talk about Space
(est. 1,5 à 2 millions de dollars), adjugé 3,53 millions de dollars.
Avec un nouveau record pour une œuvre d’Ed Ruscha établi par Phillips le soir précédent – lorsque le marchand de San Francisco Anthony Meier a acquis Noise (lot 9) au prix de 2,53 millions de dollars –, le décor était campé pour Brett Gorvy et ses collaborateurs qui pouvaient espérer faire des merveilles avec une toile comparable, mais plus forte (lot 7), une des trois œuvres en vente du lot Pop’Art proposé par le collectionneur berlinois Reinhard Onnasch. Un enchérisseur par téléphone a remporté la bataille qui l’opposait au marchand new-yorkais David Nash. Le Pop’Art californien faisait piètre figure jusqu’à lundi soir, mais son heure est enfin arrivée. Parmi les autres lots mis en vente par Reinhard Onnasch, Great American Nude no.44 de Tom Wesselmann a été vendu 944 500 dollars, au niveau de son estimation haute (un autre Wesselmann, Great American Nude no.25, n’a pas trouvé acquéreur), et Laundromat de George Segal est parti à 339 500 dollars, en dessous de son estimation basse.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°151 du 14 juin 2002, avec le titre suivant : Donald Judd, Ed Ruscha, Thomas Struth atteignent des sommets

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