C’est l’une des plus belles collections apparue sur le marché depuis la dispersion de la collection de Jean Lanssade en novembre 1993 et mai 1994 et de celle de Daniel Sickles, présentée aux enchères en plusieurs étapes entre 1989 et 1997. La bibliothèque littéraire de Charles Hayoit, vendue les 28 et 29 juin à Paris par Sotheby’s, avec le concours de l’étude Poulain-Le Fur, a réalisé un chiffre d’affaires de 26,2 millions de francs et battu un record mondial pour une édition originale de la littérature française avec les Histoires ou Contes du temps passé de Charles Perrault qui s’est envolée à plus de 2 millions de francs. Dominique Courvoisier, libraire et expert, commente cette vente.
Que pensez vous de cette collection ?
C’est un très bel ensemble. Mais, seule une partie de la collection Hayoit a été dévoilée. Elle nous réserve encore des surprises avec des livres du XXe siècle de première importance qui seront vendus cet automne. Un certain nombre de livres, ceux de Racine notamment, provenaient de ventes réalisées à Paris depuis une vingtaine d’années. Certains lots étaient un peu surévalués et les fourchettes des estimations parfois un peu larges.
Cette vente constitue-t-elle une réussite ?
C’est une vente réussie, mais le fait d’avoir choisi Sotheby’s n’a pas représenté, me semble-t-il, un plus pour les vendeurs. Les ouvrages seraient aussi bien partis à Drouot. Ils n’ont pas obtenu des prix aussi exceptionnels que ceux que l’on voit parfois à Londres ou New York pour certains livres illustrés ou certaines reliures modernes. Ceci n’amoindrit pas les mérites des organisateurs, mais prouve surtout que la littérature française reste un marché français dont l’aura ne franchit malheureusement pas les frontières de notre langue. Un très bel exemplaire des Chouans de Balzac a été cédé contre 70 000 francs. Un autre très bel exemplaire, présenté à Drouot, quelques jours plus tard, est parti à 200 000 francs. Les gros prix ont été réalisés par des œuvres tout à fait exceptionnelles comme Les Précieuses Ridicules ou les Contes de Perrault. Peu d’enchères ont été réalisées au téléphone. Les marchands étaient très présents et les collectionneurs à peu près absents. On se retrouve avec les mêmes intervenants que dans les ventes de Drouot. Les résultats ne sont pas réellement surprenants étant donné la qualité de la bibliothèque.
Quels étaient, selon vous, les lots les plus importants de la première partie de cette vente ?
Le Cid de Corneille est un des lots (n° 23) les plus intéressants. C’est probablement le seul exemplaire qui soit en reliure d’époque. La fourchette d’estimation (600-900 000 francs) était très large.
Certains livres érotiques ont réalisé des prix élevés mais justifiés comme Justine ou les Malheurs de la vertu du marquis de Sade (lot 141, 545 000 francs). C’était une pièce extraordinaire. J’ai un peu regretté que tous les exemplaires de Racine aux armes d’Albert de Naurois aient été vendus séparément et non sur enchères provisoires. Il est dommage de disperser un ensemble qui avait été réuni, au prix de longs efforts, par Charles Hayoit. Autre beau résultat, celui obtenu par une édition originale des Lettres persanes de Montesquieu qui a été cédée pour plus de 262 000 francs. D’autres exemplaires des Lettres persanes se sont vendus autour de 150 000 francs, il y a quelque temps.
Ces prix très élevés mettent en avant une tendance à l’apparition d’une sorte de catégorie d’ouvrages “stars” qui réalisent des prix exceptionnels. Le fossé se creuse de plus en plus entre les très grands livres et les autres. Un exemplaire de La Princesse de Clèves est cédé d’ordinaire pour 150 000 francs contre 200 000 francs dans la vente Hayoit. J’aimais, par ailleurs, beaucoup les 6 volumes des œuvres de Molière (lot 94). Cet ouvrage courant était dans une condition exceptionnelle. Il n’est donc pas étonnant qu’il ait plus que doublé son estimation haute à 328 000 francs. Nous nous trouvons ici en présence d’ouvrages de très haut niveau.
On a pu noter quelques autres prix inhabituels pour des ouvrages de Molière notamment comme les 457 000 francs qui sont allés au Bourgeois gentilhomme (lot 83). Ce livre n’a jamais atteint un tel prix. Il ne dépassait pas, le plus souvent, 150 000 francs, comme dans la vente Meyer. Quand certains objets deviennent très rares, les collectionneurs se battent âprement pour les obtenir. Le prix très élevé obtenu par l’édition originale des Histoires ou Contes du temps passé de Charles Perrault (lot 112, plus de 2 millions de francs) s’explique aussi par cette grande rareté. Ce prix n’est pas surprenant si l’on prend en compte ceux atteints par des deuxièmes ou troisièmes éditions qui partent parfois à 200 ou 300 000 francs.
Tout aussi frappant est le prix qui est allé à un livre érotique, L’Escole des filles, ou la philosophie des dames de Michel Millot (lot 63), qui est parti à 41 000 francs. Autre prix élevé, celui recueilli par Le Jeu de l’amour et du hazard de Marivaux (lot 61) qui s’est vendu 71 000 francs. Les grands livres ne cessent de s’enchérir. Quand on évoquait, il y a vingt ans, le marché des livres anciens, je m’insurgeais contre le fait que nos classiques étaient bradés. Un Molière par exemple se vendait autour de 15 000 francs. Les choses ont bien changé depuis. S’il y avait une critique à adresser à cette collection, on pourrait évoquer le fait que beaucoup d’ouvrages étaient excessivement dorés ou surdorés donnant un résultat un peu clinquant.
Qu’en a-t-il été de la deuxième partie de la vente réunissant les ouvrages du XIXe siècle ?
Cet ensemble était la marque d’une collection constituée par un homme âgé, qui a vécu une époque révolue. Rares sont les collectionneurs qui rêvent aujourd’hui de ce type de bibliothèque. On préfère maintenant un exemplaire en demi-basane de l’époque avec un envoi significatif à une édition originale romantique en parfaite condition. Ces livres du XIXe siècle étaient cependant splendides. Il serait à peu près impossible de constituer aujourd’hui des exemplaires de cette qualité.
Les manuscrits de Flaubert en mains privées ont quasiment disparu sur le marché, d’où ces enchères élevées comme celle qui est allée à Novembre (lot 222, 3,5 millions de francs). La Dame aux camélias d’Alexandre Dumas fils a, pour sa part, décuplé son estimation à 436 000 francs. Cette enchère surprenante tient en grande partie à la lettre qui accompagnait l’exemplaire dans laquelle Dumas père reconnaissait la paternité de son fils Alexandre. Champavert, Contes immoraux de Pétrus Borel a réussi à doubler une estimation déjà très haute en partant à 158 000 francs. On aurait pu, en revanche, s’attendre à un prix plus élevé pour Les Fleurs du mal de Baudelaire sur hollande (656 000 francs). L’ouvrage de Flaubert, Madame Bovary, présenté à la vente était sujet à caution (lot 224). La fiche technique insistait sur la qualité de l’exemplaire en précisant que la reliure était d’époque, ce qui est contestable. L’estimation semblait très élevée (100-150 000 francs) pour ce lot controversé. Par ailleurs, si l’on peut relever une petite erreur dans ce catalogue, bien documenté, j’ai remarqué que L’Art d’être grand-père de Victor Hugo (lot 271) n’est pas, contrairement, à ce qu’indique la fiche, un tirage unique sur peau de vélin. Un autre exemplaire figurait dans la dation Lanssade. Tiré pour les petits-enfants de Hugo, ce second exemplaire se trouve aujourd’hui à la Bibliothèque nationale de France. Enfin, les 197 000 francs obtenus par Notre-Dame de Paris de Hugo semblent excessifs si l’on tient compte de son état moyen et de la pauvreté de la couverture.
Quelles vont être les conséquences pour le marché français de l’organisation de ventes de livres à Paris par les auctioneers ?
Il y a déjà beaucoup de livres et manuscrits qui partent à Londres ou New York pour des raisons fiscales notamment. Les auctioneers n’ont apparemment pas l’intention de s’accaparer le marché des livres dans son ensemble, mais de se limiter aux très belles bibliothèques. Ils négligeront probablement les petites vacations. Les maisons de ventes françaises présentent, en revanche, certains atouts que n’ont pas leurs concurrents. Les acheteurs sont mieux protégés dans le cadre d’une vente à Drouot car les auctioneers ne garantissent pas l’authenticité des lots vendus, à l’inverse des commissaires-priseurs qui sont responsables des objets qu’ils dispersent.
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Dominique Courvoisier - Sotheby’s réussit son entrée sur le marché parisien
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°131 du 31 août 2001, avec le titre suivant : Dominique Courvoisier - Sotheby’s réussit son entrée sur le marché parisien