Ancien directeur de la Galerie Maeght, Daniel Lelong s’est forgé en quarante ans un des noms les plus respectés de la capitale. Il n’a toutefois pas accompagné les nouvelles avant-gardes.
Voix rauque travaillée au cigare, port droit, œil plissé mais vif. Le galeriste Daniel Lelong aime aller droit au but, comme un joueur de football. Du sportif qu’il fut, il garde l’échine solide et les pieds sur terre. Direct, il parle sans chichi, sans familiarité non plus. Ancien directeur de la galerie d’Aimé Maeght, son nom est l’un des plus respectés de la scène parisienne.
Études moyennes au lycée à Nancy, bac, Sciences-Po et droit : les jalons étaient posés pour une carrière administrative. Petit fonctionnaire, son père rêvait sans doute d’un grand commis dans la famille. « On faisait partie de cette petite bourgeoisie qui avait peur de se faire prolétariser. Je suis un produit de l’ascenseur social », rappelle Daniel Lelong. Il rate le bastion des « élus », l’ÉNA, et bifurque vers le Conseil d’État. Très politisé, il navigue dans le sillage de Pierre Mendès France. Mobilisé pendant la guerre d’Algérie, il échappe au front en devenant le secrétaire de Mme Massu, épouse du général du même nom. De retour à Paris en 1960, il rejoint le giron du Conseil d’État. L’année suivante, il apprend par hasard que le galeriste Aimé Maeght cherche un conseiller pour rédiger les statuts d’un musée dans le Sud. « Je savais vaguement qui était Maeght, raconte Daniel Lelong. À l’époque, il voulait un petit musée privé. Je me suis dit que j’allais chercher au Conseil d’État une fondation sur laquelle on pourrait mouler nos statuts. En fait, la Fondation Maeght [a été] la première en France dédiée à l’art moderne. »
Les artistes d’abord
Le jeune homme prend un congé de deux ans du Conseil d’État pour monter la Fondation Marguerite et Aimé Maeght à Saint-Paul de Vence (Alpes-Maritimes), inaugurée en 1964. Quittant définitivement l’administration, il reste aux côtés d’Aimé Maeght. « C’était un homme d’élan et de générosité, un fonceur qui n’avait pas peur de casser des carreaux. Moi j’étais là pour les ramasser. » Garde-fou, il n’en excelle pas moins dans la vente. « Ma première vente, c’était un bouquet de marguerites de Braque. Les transactions m’ont tout de suite plu. Ce que j’aime dans la vente, c’est l’interlocuteur. La vente est simple quand tout le travail en amont est fait. On a déjà le plateau, tout est dans la façon de le servir. » Observateur amusé de la comédie humaine, il n’est ni bateleur, ni marchand de soupe. « Il vend avec naturel, les clients ne se sentent pas pris au piège. Il noue des rapports simples et francs auxquels les gens sont sensibles », souligne un proche. Le collectionneur de Floride Norman Braman lui doit notamment son bel ensemble de Calder. Au décès d’Aimé Maeght en 1981, les relations avec la famille, jusque-là inexistantes, s’enveniment. Suit une décennie de chicaneries qui prennent fin en 1989. Le galeriste avait désigné un triumvirat (Daniel Lelong, Jacques Dupin et Jean Frémon) pour lui succéder et conserver le nom. Mais le destin tranche autrement puisque Daniel Lelong doit céder en 1987 le nom et le stock au fils d’Aimé, Adrien Maeght. Une histoire sur laquelle le galeriste préfère ne pas s’épancher. Pendant les transactions-fleuves avec la famille Maeght, son flegme ne sera pas en berne. « Si l’affaire Maeght l’a atteint, il a donné le change. Ça n’a pas été rose, mais il s’en est sorti élégamment, sans montrer ses états d’âme », souligne son ami et confrère Nello Di Meo. D’autant plus qu’il a su relancer une galerie sans la prébende de Maeght. La confiance des artistes comme Miró ou Tàpies, qui ne l’ont pas quitté, est un signe qui ne trompe pas. Quand beaucoup de professionnels cherchent à se valoriser, Daniel Lelong met ses artistes en avant. « Il aime les artistes et il est aimé d’eux », souligne le galeriste Patrice Trigano. Le consensus de ses confrères n’est pas moins éloquent. « C’est une des galeries les plus professionnelles de Paris. Les archives sont extrêmement bien tenues. Lorsque vous voulez un renseignement, on vous le communique dans la demi-heure, ce qui n’est pas le cas partout », ajoute Patrick Bongers, directeur de la galerie Louis Carré & Cie.
Bien dans ses baskets et son bureau des années 1940, Daniel Lelong ne pêche pas dans les eaux troubles de la mondanité : « À Madrid, je délaisse l’invitation du maire pour aller voir du foot ou du flamenco. C’est un grand luxe ! » Mais la discrétion de Daniel Lelong est à double tranchant. L’image de l’administrateur émérite lui colle un peu trop à la peau. « Il paraît être un administrateur, mais il n’est pas que ça. Il a une grande culture, mais il ne cherche pas à briller. Il fait le travail qu’il doit faire. Il laisse une grande autonomie, responsabilise son entourage », défend le courtier Marc Blondeau.
L’édition, un quart du chiffre d’affaires
Prolongement de Maeght, la galerie Lelong revendique une tessiture propre, plus internationale puisque 70 % du chiffre d’affaires s’effectue aujourd’hui à l’étranger. « On garde le même esprit avec les éditions et le rapport marchand/artiste vivant. J’aimerais dire qu’on est différents. On a des artistes plus internationaux, la galerie de Maeght était centrée sur l’école de Paris. Elle était aussi familiale, alors que nous sommes plus structurés. On est peut-être moins amusants ! », confie Daniel Lelong. Son associé Jean Frémon est plus tranché : « Nous sommes certes dans les mêmes locaux, mais il y a eu transformation. On a dû redimensionner l’entreprise, couper du personnel, faire le tri dans les équipes d’artistes. » Jean Frémon s’occupe des artistes plus « jeunes », Daniel Lelong et Jacques Dupin de l’ancienne garde, un cocktail efficace. Chose rare, le ménage à trois tient bon sans sursaut d’ego ! « Quand une décision est prise, elle est collective, l’harmonie à trois prime. Il suffit que l’un de nous ait des raisons violentes de refuser une chose pour qu’on l’abandonne », insiste Jean Frémon. Daniel Lelong tient toujours la barre, sans trop réduire la voilure. Fidèle à une certaine tradition, il dirige l’une des rares enseignes françaises à préserver l’édition. Une pratique que d’autres, plus portés sur la rentabilité immédiate, auraient jetée à la trappe. Battant son plein le samedi après-midi, ce secteur représente un quart de son chiffre d’affaires.
Seul pourrait-on regretter que la galerie Lelong ne soit pas plus téméraire. Elle a cédé à un art contemporain bon teint, classieux aux entournures. La galerie parisienne tend à montrer de plus en plus d’échos de la programmation new-yorkaise. Un coup de jeune ? « La galerie de New York nous sert de laboratoire, avec sa propre identité, admet Daniel Lelong. Mais, à partir du moment où nous ne sommes pas en phase avec la photo et la vidéo, on ne montre pas l’ultramodernité. On présente des peintres et des sculpteurs traditionnels, mais plus jeunes. L’écurie bougera encore, mais je ne sais pas comment. »
Comme beaucoup de marchands, Daniel Lelong possède une collection de hasard, nourrie de la générosité des artistes. N’allez toutefois pas lui suggérer la création éventuelle d’une fondation ! « Si un jour vous voyez une fondation Lelong, c’est que je suis devenu gâteux. » Un des galeristes qui ne pèche pas par excès d’orgueil.
1953 : Naissance à Nancy.
1961 : Rencontre avec Aimé Maeght.
1964 : Inauguration de la Fondation Maeght.
1982 : Présidence du Cofiac.
1987 : La Galerie Maeght Lelong prend le nom de « Galerie Lelong ».
2004 : Expositions Nancy Spero (jusqu’au 7 mai), puis Sean Scully (13 mai-24 juillet).
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Daniel Lelong - Galeriste
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°191 du 16 avril 2004, avec le titre suivant : Daniel Lelong