En Bretagne, où les artistes d’avant-garde ont participé à la construction de l’art moderne, un véritable marché autour des «Â petits maîtres » bretons s’est développé.
Surannée, la Bretagne ? Que nenni. Rares sont les maîtres impressionnistes et modernes qui ne l’ont pas peinte – et dont les œuvres peuvent atteindre plusieurs millions en salles des ventes, à l’instar de Port-Coton : Le Lion de Claude Monet, peint en 1886 à Belle-Île-en-Mer, adjugé en novembre dernier chez Christie’s New York pour 3,73 millions de dollars. Sotheby’s, dans sa vente d’art impressionniste et moderne à Paris le 3 juin, a ainsi proposé deux toiles, signées l’une Félix Valloton, l’autre Bernard Buffet, représentant des paysages bretons. « Par sa lumière changeante, sa nature sauvage, la Bretagne a eu un fort impact sur les avant-gardes », observe Aurélie Vandevoorde, directrice du département Art impressionniste et moderne chez Sotheby’s France. Et certains collectionneurs entretiendraient un rapport affectif particulier avec les sujets liés à cette région, essentielle dans la construction des mouvements d’avant-garde. Elle fut la première à se désenclaver grâce au chemin de fer, dès 1857, au moment même où apparaît le tube de peinture, qui permet de peindre en plein air. Monet la découvre en 1886, un an après Paul Signac et l’année même où Paul Gauguin s’installe à Pont-Aven. Le mouvement est lancé – Vlaminck, Derain, Matisse, Braque ou encore Picasso suivront… « Max Ernst y invente même en 1925, un jour de pluie où il s’ennuie, la technique du grattage, découverte essentielle pour la peinture surréaliste », avance Aurélie Vandevoorde. Et, si pour les artistes de la seconde moitié du XXe siècle, la Bretagne ne présente plus l’attrait de la découverte, elle continue néanmoins de les fasciner, de Bernard Buffet à Gilles Aillaud, qui y réalise de grandes compositions paysagères dédiées à cette région, en passant par Pierre Alechinsky ou Jean Bazaine.Ce n’est pas tout : si les sujets bretons des grands maîtres alimentent régulièrement galeries parisiennes et salles de vente internationales, en Bretagne, un véritable marché s’est établi autour des « petits maîtres » bretons – Mathurin Méheut, Georges Cornélius, ou encore Jeanne Malivel, graveuse cofondatrice du mouvement artistique Ar Seiz Breur qui se dressa entre les deux guerres mondiales contre les « biniouseries » pour créer un art breton vivant. Des galeries spécialisées, comme la Galerie Armel, tenue par Yann Le Bohec à Paimpol, les défendent et des maisons de vente, comme Thierry-Lannon ou Adjug’Art à Brest, proposent régulièrement des ventes qui leur sont dédiées.
Un vent de renouveau : Ar Seiz Breur et Méheut
Un graphisme moderne aux accents « art déco », qui sublime le monde pêcheur et paysan : c’est le point commun entre ces deux œuvres des années 1930. L’une est une estampe du cofondateur du mouvement Ar Seiz Breur, le sculpteur Georges Robin, mort à 24 ans, dont les œuvres sont très rares et dont les sculptures en faïence peuvent atteindre entre 10 000 et 15 000 euros. L’autre est une aquarelle du plus grand des « petits maîtres » bretons, Mathurin Méheut. Ses œuvres sur papier abouties, comme celle-ci, sont d’une grande rareté. Ses plus beaux tableaux peuvent se négocier autour de 40 000 euros.
Georges Robin (1904-1928), Bigoudène sur le quai, bois gravé en noir, signé du monogramme en bas à gauche. Envoi en bas à droite « Avec mon meilleur souvenir, à mademoiselle Jeannig », circa 1924, 14 x 10 cm.
Mathurin Méheut (1882-1958), Sardiniers aux filets, aquarelle, circa 1930.
Estampe de Georges Robin vendue 1 200 € en 2012 ; aquarelle de Mathurin Méheut vendue 7 000 € en 2010. Galerie Armel, Paimpol.
Les Bretonnes : Charles Fréger
Coiffes, sculptures contemporaines ou architectures gothiques ? Un peu les trois sans doute. « Ces coiffes évoquent à la fois des représentations du Moyen Âge ou de la Renaissance, des motifs de l’école de Pont-Aven et l’image de carte postale qu’on se fait parfois de la Bretagne. J’ai voulu jouer sur cette imagerie, tout en m’intéressant à la dimension sculpturale de ces objets », explique Charles Fréger. Ce photographe portraitiste des communautés humaines, passionné par les clans et les individus qui les constituent, expose sa série des Bretonnes cet été à Rennes, Guingamp, Saint-Brieuc et Pont-l’Abbé et publie un livre qui lui est consacré aux éditions Actes Sud (264 p., 35 €).
Charles Fréger, Coiffe de l’Aven. Ensemble de cérémonie, pays de l’Aven, région de Fouesnant, 1940. © Charles Fréger.
Prix : en général, pour une photographie de Charles Fréger : environ 4 000 €.
Expérimentations : Charles Lapicque
Les régates peintes par Charles Lapicque en 1951 comptent parmi les plus recherchées de cet artiste amoureux de la Bretagne, qui fut aussi un important théoricien de la peinture et un grand scientifique. « C’est à cette époque qu’il trouve son style, s’éloignant de l’abstraction pour devenir plus figuratif et approfondir ses expérimentations sur la couleur », rappelle le galeriste Yann Le Bohec. Ici, le peintre physicien représente les voiles transparentes pour donner le sentiment du mouvement.
Charles Lapicque (1898-1988), Régates, 1951, huile sur toile, signée et datée en bas à droite, 81 x 116 cm, ancienne collection Peter et Barbara Nathan.
Vendu environ 180 000 € en 2012, Galerie Armel, Paimpol.
Naissance d’un maître : Félix Vallotton
Un paysage peint sur le motif ? On pourrait le croire. « Mais, en réalité, Vallotton réalise des croquis et note sur son carnet ce qu’il ressent, pour retranscrire ensuite cette émotion sur la toile en atelier, comme par exemple sur cette toile à travers les jeux de lumière sur les maisons », note Aurélie Vandevoorde, chez Sotheby’s. Ce paysage appartient à l’une des périodes les plus recherchées de l’artiste nabi, car essentielle dans la construction de son œuvre. Si l’œuvre ne s’est pas vendue chez Sotheby’s le 3 juin dernier, « un autre de ses paysages bretons, au sujet similaire, a été adjugé plus d’un million de dollars à Zurich », observe l’experte.
Félix Vallotton (1865-1925), Le Chemin, Locquirec, 1902, signé
F. Vallotton et daté 02, huile sur carton, 31,6 x 48,7 cm.Estimation : 180 000-250 000 €, Sotheby’s, Paris.
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Collectionner l’art breton
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Abonnez-vous dès 1 €En galerie : Armel Galerie, 12, rue de l’Église, Paimpol (22), tél. 06 64 18 64 29. Sur rendez-vous.
En salle de ventes : Adjug’art, 13, rue Traverse, Brest (29), tél. 02 98 46 21 50 ; Thierry-Lannon, 26, rue du Château, Brest (29), tél. 02 98 44 78 44
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°681 du 1 juillet 2015, avec le titre suivant : Collectionner l’art breton