À quelques jours de l’ouverture de la foire Art Basel, l’économiste en charge du rapport annuel « Art Basel/UBS » dresse le bilan du marché de l’art en 2022.
Pendant la pandémie, le marché ne s’est pas comporté aussi mal qu’on le pensait. Puis, en 2021, les choses sont allées beaucoup mieux, avec une augmentation de 30 %. L’an dernier était la première année de retour à la normale, avec la reprise des foires et de tous les événements. Et là, on a vu à nouveau le secteur des œuvres à prix élevés se détacher, tandis qu’en milieu de gamme et en entrée de gamme, les prix ont stagné. Ce n’est pas un constat nouveau, mais cette tendance a été particulièrement marquée en 2022, notamment dans les ventes publiques, où les adjudications au-delà de 10 millions de dollars se sont envolées. On a alors vu tous ces records, comme chez Christie’s, à New York, lors de la vente de la collection d’art de Paul Allen (le cofondateur de Microsoft), dont le montant total a dépassé la barre du milliard de dollars… Aujourd’hui, on voit cependant que ce secteur des enchères est en train de ralentir un peu.
En 2020, les petites galeries se sont plutôt bien débrouillées, en vendant notamment en ligne. Mais depuis l’an dernier, on voit à nouveau l’écart se creuser. Il ne s’agit pas seulement des recettes, mais aussi des dépenses. Les petites galeries sont sous pression parce que les frais fixes sont très lourds et que les coûts liés à la logistique du transport d’œuvres, l’emballage ou l’acheminement ont considérablement augmenté. Ces galeristes ont du mal à répercuter ces frais sur le prix des œuvres, car leur clientèle est devenue également plus vigilante sur les tarifs. Ce n’est pas la même chose pour les grosses galeries, dont les clients ne vont pas remarquer la hausse des prix ou sont prêts à y faire face. Donc, c’est vraiment une crise à double tranchant pour les petites galeries.
Les deux années passées ont été deux années de forte croissance pour la France mais, comparativement, la Grande-Bretagne fait beaucoup mieux. Cela s’explique par le fait que le Royaume-Uni est davantage tourné vers l’international, avec des collectionneurs du monde entier. Moins de la moitié des œuvres vendues par les marchands anglais sont achetées par des Britanniques. Le pays fonctionne comme un « hub » global, quand le marché français est davantage orienté vers l’Europe, ce qui explique aussi que les prix y soient un peu moins élevés. Par ailleurs, la France est toujours soumise à une réglementation européenne assez complexe, avec la perspective d’une hausse possible de la TVA sur les œuvres d’art qui serait absolument dévastatrice pour le marché hexagonal. Mais les marchands sont très mobilisés contre cela, et l’État français semble être à l’écoute.
La flambée des NFT a vraiment correspondu à une bulle spéculative. En 2021, il y a eu beaucoup de mouvements sur le second marché, mais il s’agissait moins de nouvelles œuvres que de reventes. C’est toujours la même chose quand il y a trop de gens qui spéculent sur un segment, et qui veulent se retirer au même moment. La part des NFT sur les plateformes était de 1,5 milliard de dollars l’an dernier, soit moitié moins qu’en 2021. Mais n’oublions pas qu’en 2020, elle était de seulement 20 millions de dollars ! Je pense donc qu’on assiste à la fin d’un phénomène spéculatif, mais que, en revanche, les apports des NFT liés à la technologie de la blockchain (la provenance de l’œuvre, la garantie qu’elle soit originale, etc.) vont intégrer durablement le marché de l’art. Et c’est une bonne chose.
Les femmes ne représentent que 38 % des artistes, premier et second marchés confondus. Elles sont représentées à hauteur de 42 % par les galeries du premier marché, mais ne comptent que pour 16 % des artistes dans les enseignes du second marché. Cependant, la part de ventes générées par les œuvres de ce petit nombre d’artistes femmes du second marché a augmenté. Globalement, on va dans la bonne direction, mais c’est lent, très lent. Ce qui est vraiment réjouissant, c’est ce résultat qui montre que les galeries dans lesquelles la proportion d’artistes femmes est élevée réalisent une hausse de leur chiffre d’affaires plus importante. Il n’y a pas de cause à effet directe, mais une corrélation qui mérite d’être étudiée de plus près. Assurément, promouvoir très peu d’artistes femmes n’a pas constitué un atout pour une galerie en 2022.
Le facteur financier n’explique pas tout, même s’il joue un rôle. C’est vrai que je vois des collectionneurs s’inquiéter pour des artistes qu’ils suivent et qui ont du mal à vendre. Certains segments sont en perte de vitesse. Cela va et vient, c’est aussi une question de mode. Le marché est volage.
Qu’on le veuille ou non, les artistes ont besoin de gagner leur vie. S’ils n’y parviennent pas, la question peut alors se poser de savoir si l’État doit compenser le marché. Quand celui-ci est déficient, c’est en effet le rôle de l’État d’apporter son soutien, par exemple à travers les achats des collections publiques. C’est aujourd’hui le seul espoir pour ces segments de la création dont la cote ne décolle pas.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Clare McAndrew : « Le marché de l’art est volage »
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°765 du 1 juin 2023, avec le titre suivant : Clare McAndrew : « Le marché de l’art est volage »