Grâce au rachat de cette galerie, la maison de vente aux enchères décroche un accès au premier marché.
LONDRES-NEW YORK - Après l’achat de la galerie Robert Noortman par Sotheby’s en juin 2006, Christie’s vient de jeter son dévolu sur la galerie d’art contemporain Haunch of Venison. L’écurie de François Pinault s’attaque là au premier marché, comme l’avait fait autrefois son concurrent en prenant 50 % de parts dans la galerie Deitch Project. Fondée en 2002 par Harry Blain et Graham Southern, Haunch of Venison, qui représente notamment les artistes Jorge Pardo et Bill Viola, dispose d’antennes à Londres, Zurich et Berlin. Elle ouvrira même une nouvelle vitrine cet automne à New York sous la direction de Barrett White, ancien employé de Christie’s. Pour donner un tour encore plus incestueux à l’opération, le propriétaire de la maison de ventes, François Pinault, s’avère être un client régulier de la galerie via sa conseillère Elena Geuna…
Officiellement, Christie’s chercherait à offrir un service plus complet à ses clients. En clair, la maison, qui avait engrangé l’an dernier 822 millions de dollars en art contemporain, considère le premier marché comme un des nerfs de la guerre. Et la meilleure façon d’y avoir accès, c’est d’absober une galerie. « Nous ne sommes pas avalés par Christie’s, mais demeurons indépendants. Harry Blain et moi-même continuerons à diriger la galerie, défend Graham Southern. La gestion au quotidien se fera de la même façon qu’avant. Le stock de la galerie n’est pas transféré à la maison de ventes. Mais le fait d’être financé par Christie’s nous permettra de mieux nous occuper des artistes, de leur carrière, des productions. On pourra attendre plus longuement dans les négociations avec les musées, alors que jusque-là on devait serrer les dents en espérant que l’achat muséal se concrétise. L’accès à un capital supplémentaire ne signifie pas que nous allons dépenser demain 5 millions de dollars pour un projet, mais on va étudier chaque dossier au cas par cas. »
Cet accord a suscité des réactions plutôt mitigées dans le milieu de l’art. « Il y a une collusion pyramidale pour saisir toutes les opportunités. Les auctioneers perdent de leur neutralité, deviennent juges et parties, déplore le courtier Marc Blondeau. Mais il faut laisser respirer le marché. » Pour Simon de Pury, dont la maison de vente Phillips de Pury & Company organise depuis deux ans et demi des expositions commerciales, « les frontières artificielles entre les premiers et seconds marchés, galeries et maisons de ventes sont amenées à disparaître. Chaque activité est différente, et si on la pratique de manière responsable, il n’y a pas de problème. » Or, la responsabilité n’est pas toujours la vertu cardinale des collectionneurs et encore moins des maisons de ventes, en quête d’œuvres fraîches, à peine sorties des ateliers ! Les catalogues de ventes fourmillent ainsi de pièces achetées ces deux ou trois dernières années. « Il n’y aura pas d’œuvres créées avec l’idée de les mettre sur le second marché », assure pour sa part Graham Southern.
Les artistes circonspects
Les artistes de la galerie restent pour l’heure dans l’expectative. « Même lorsque je vends à des marchands qui n’appartiennent pas à une maison de vente, mon œuvre peut se retrouver en ventes publiques, soupire l’artiste Keith Tyson. Je suis artiste et ma préoccupation c’est mon art. Si je devais passer mon temps à réfléchir à ce qui adviendra de mon œuvre quand elle sort de l’atelier, je deviendrais fou. D’ailleurs, craindre est une chose et contrôler en est une autre. Je ne vois pas ce qu’un artiste pourrait faire pour contrôler dans un marché d’économie libre. Haunch of Venison s’est toujours montré exemplaire en me donnant de très bonnes conditions de travail. » « J’attends de voir, je ne sais pas si la nouvelle est bonne ou mauvaise », conclut-il.
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Christie’s rachète Haunch of Venison
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°254 du 2 mars 2007, avec le titre suivant : Christie’s rachète Haunch of Venison