Le marché de l’art connaît parfois des moments de grâce, lorsque marchands et conservateurs abandonnent leur défiance réciproque pour mettre en lumière, main dans la main, un chef-d’œuvre insoupçonné.
Voilà deux ans, une famille française présente à Nicolas Joly, en charge du département art ancien de Sotheby’s à Paris, un autoportrait rembranesque acquis à Drouot en 1956. Présenté comme « d’après Rembrandt », il avait alors été adjugé 20 000 francs sous le marteau de Maurice Reims. Soupçonnant sans doute un vrai Rembrandt, son propriétaire s’était empressé d’en retirer certains éléments jugés incongrus comme le chapeau à la polonaise et les boucles d’oreilles, tout en laissant d’autres repeints. Intrigué par la qualité de la touche au niveau du nez, des lèvres et de la moustache, Nicolas Joly pressent une découverte et confie l’œuvre au regard aiguisé du professeur Ernest van de Wetering, grand mandarin du « Projet de recherche sur Rembrandt ». Le tableau sort de France avec la mention « attribué à Rembrandt » et une estimation de 150 000 euros. Sûr d’avoir affaire à un authentique Rembrandt, Wetering pense que le tableau a été enjolivé par l’un de ses élèves. On le sait, l’artiste hollandais avait une activité commerciale importante et ses autoportraits étaient déjà très appréciés. Le maître a pu conserver le tableau dans son atelier et demander quelques années plus tard à l’un de ses élèves de le remettre au goût du jour en rajoutant quelques colifichets comme les bijoux et le chapeau. Wetering et Sotheby’s confient alors la restauration du tableau au très chevronné Martin Bijl, ancien restaurateur en chef du Rijksmuseum. « C’était celui qui était le plus à même de comprendre la matière. Il fallait savoir où s’arrêter dans le retrait des repeints, d’autant plus qu’ils avaient été réalisés sous la supervision de Rembrandt », rappelle Nicolas Joly. Aux trois quarts de la restauration, l’expert fait revenir le tableau en France et le présente à Jacques Foucart, grand manitou du département des Écoles du Nord au Louvre, pour obtenir le certificat de sortie, sésame pour le marché international. Le conservateur français confirme l’expertise de Wetering, mais n’en émet pas moins une appréciation sévère sur la qualité de la toile. Le Louvre possédant déjà un bel autoportrait, il en autorise la libre circulation.
Délesté de ses oripeaux, l’autoportrait présente un Rembrandt âgé de vingt-huit ans, à la pose naturelle, un brin mélancolique. L’estimation de 5 millions de livres est attractive lorsqu’on sait que le dernier autoportrait passé en vente remonte au 21 mars 1973 pour 90 000 livres. Il n’en existe d’ailleurs que trois autres en mains privées. On soupçonne volontiers un Steve Wynn, magnat de Las Vegas en quête de tableaux emblématiques, d’entrer en lice. Les regards se tournent aussi vers Robert Noortman, le marchand hollandais qui avait défrayé la chronique en achetant coup sur coup chez Christie’s un Portrait de dame pour 18 millions de livres sterling (26,68 millions d’euros) en décembre 2000 et Portrait d’un homme au gilet rouge pour 11,5 millions de dollars (10,6 millions d’euros) en janvier 2001. Ces annales laissent de belles perspectives pour l’autoportrait auréolé de cette histoire d’investigation quasi policière.
Old Masters Paintings, vente du 10 juillet, Sotheby’s Londres.
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Chez Sotheby’s, un autoportrait de Rembrandt redécouvert
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°549 du 1 juillet 2003, avec le titre suivant : Chez Sotheby’s, un autoportrait de Rembrandt redécouvert