Ventes aux enchères

Redécouverte: Un tableau bien trop chouette

Chasse au Friedrich

Dispersé dans une vente courante à Cannes, un tableau du romantique allemand Caspar David Friedrich va faire l’objet d’une bataille judiciaire après son adjudication au dixième de sa valeur

Par Armelle Malvoisin · Le Journal des Arts

Le 16 mars 2010 - 549 mots

Estimé autour de 100 euros, un joli petit tableau anonyme du XIXe siècle proposé aux enchères à Cannes a été adjugé 350 000 euros. Reconnue par plusieurs professionnels comme étant de la main du peintre allemand Caspar David Friedrich, cette Chouette sur un arbre vaudrait dix fois son prix d’adjudication. Alertés, les vendeurs ont engagé une procédure en nullité de la vente pour erreur sur la substance.

CANNES  - Le 10 février à Cannes, lors d’une vente courante de la société de ventes Azur Enchères, un petit tableau issu d’une succession, représentant une « chouette sur un arbre », présenté comme une œuvre anonyme du XIXe siècle et estimé autour de 100 euros, a fait l’objet d’une incroyable bataille d’enchères.

Le marteau est tombé à 350 000 euros, au profit de deux marchands parisiens spécialistes du XIXe, Bertrand Talabardon et Bertrand Gautier, contre d’autres professionnels tout aussi motivés. Tous avaient repéré la reproduction de la charmante petite toile sur le site interencheres.com, calendrier des ventes publiques françaises en ligne.

Procédure en nullité
Paysage tragique emblématique de la peinture romantique, la chouette perchée sur un arbre nu sur fond de ciel nuageux éclairé par la lune n’est autre qu’un tableau de Caspar David Friedrich (1774-1840), chef de file de la peinture romantique allemande du XIXe siècle. Sous cette attribution, la toile vaudrait en fait beaucoup plus, jusqu’à 3 millions d’euros d’après des spécialistes de la cote du peintre.

Un coup de génie pour la galerie parisienne ? Pas sûr, car l’affaire a fait grand bruit. Et les vendeurs de s’étonner de l’obtention d’une telle somme aux enchères, pour un tableau estimé a priori 100 euros, avant de comprendre l’enjeu financier et d’engager une procédure en nullité de la vente pour erreur sur la substance.

La jurisprudence leur donne raison. Dans une affaire comparable, un tableau de Poussin, présenté dans une vente aux enchères à Versailles en 1986 comme étant de l’entourage du peintre, avait été acquis par les frères Pardo, marchands parisiens, pour 1,6 million de francs, avant d’être reconnu comme un authentique Poussin [lire le JdA no 110, 8 septembre 2000]. Au terme d’un long procès, le propriétaire avait obtenu la restitution du tableau, finalement entré dans les collections du Musée du Louvre, à Paris, pour 15 millions d’euros. Mais il n’est pas non plus exclu que vendeurs et acheteurs trouvent un arrangement.

Notre chouette pourrait intéresser les musées français, qui devront, le cas échéant, débourser bien plus que les 350 000 euros d’adjudication pour l’acquérir. D’autant plus que le tableau redécouvert de Friedrich a une provenance prestigieuse. Il aurait figuré dans la collection du sculpteur David d’Angers, grand admirateur du peintre allemand. Un article sur Friedrich, publié en 1997 dans la Revue du Louvre par Patrick Le Nouëne, conservateur en chef du patrimoine des musées d’Angers, mentionne quatre œuvres sur papier et trois tableaux de Friedrich dans l’inventaire réalisé après décès de David d’Angers en 1856.

L’une des toiles, décrite ainsi : « chouette sur un arbre dépouillé », est probablement celle redécouverte à Cannes. Sur les quatre dessins de Friedrich inscrit sur l’inventaire du sculpteur, trois sont conservés au Musée des beaux-arts d’Angers (Maine-et-Loire) qui possède une belle collection de dessins allemands du XIXe. Le quatrième, qui se trouve au Musée du Louvre, représente également une chouette.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°321 du 19 mars 2010, avec le titre suivant : Chasse au Friedrich

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