Chardin au sommet

Paris. Le 12 juin, Christie’s Paris adjugeait presque 27 millions d’euros frais compris (23 M€ au marteau) Le Melon entamé, vers 1760, de Jean-Baptiste-Siméon Chardin (1699-1779), pulvérisant son estimation haute fixée à 12 millions d’euros.

La toile ovale – un format rare dans le corpus de l’artiste – multiplie les succès. Non seulement elle dépasse le précédent record de l’artiste détenu par le Panier de fraises des bois acheté par le Louvre 24,4 millions d’euros mais elle devient aussi le tableau français du XVIIIe le plus chèrement adjugé dans le monde et le tableau ancien le plus cher vendu en France.

Pendant près de onze minutes, une bataille d’enchères – sous le marteau de Camille de Foresta – s’est déroulée entre un téléphone et deux marchands présents dans la salle, le New-Yorkais Adam Williams et son fils. C’est l’enchérisseur au téléphone – un collectionneur privé européen – qui a remporté la mise face à des marchands, qui ont abandonné à 21,5 millions d’euros. Ils agissaient pour le compte du Kimbell Art Museum (Fort Worth, USA), qui était également le sous-enchérisseur pour le panier de fraises.

« Quand nous sommes face à une œuvre magistrale, à de la poésie picturale, la demande est extrêmement élevée. Elle possédait toutes les qualités pour faire un gros prix », souligne Pierre Étienne, directeur international du département des Tableaux anciens chez Christie’s. Pas vue sur le marché depuis 149 ans, l’œuvre provenait de plusieurs collections prestigieuses : présentée par le peintre au Salon de 1761 aux côtés de son pendant, Le bocal d’abricots (Art Gallery of Ontario de Toronto) – à l’époque tous deux propriétés de Jacques Roëttiers, orfèvre du roi –, la toile a ensuite fait partie de la collection Marcille – estampille majeure pour Chardin – puis Rothschild.

« Je suis stupéfait que ce tableau ait dépassé Le Panier de fraises. Pour moi, il était beaucoup moins beau. Christie’s a vraiment fait du bon travail », confie un acteur du marché. « Personne n’imaginait que le tableau ferait ce prix. Le Kimbell Museum – qui a beaucoup d’argent – a sans doute reporté sa frustration sur ce tableau comme il n’a pas pu obtenir Le Panier de fraises, en faisant monter les enchères », analyse un autre. « Ce prix prouve qu’il n’y a plus de logique du marché pour les grands noms. Pour eux, il suffit d’avoir un ou deux enchérisseurs n’ayant aucune limite d’argent. Seules les maisons de ventes peuvent trouver ces personnes. On est hors analyse rationnelle de l’œuvre », estime l’expert en tableaux anciens, Nicolas Joly.

Qu’est-ce qui a fait la différence avec Le Panier de fraises ? « Le Melon entamé bénéficiait d’un passeport d’exportation, lui. Ce qui est de nature à rassurer l’acheteur, surtout s’il vit à l’étranger », explique Pierre Étienne.

Ce sont ces dix dernières années, avec une accélération depuis 2020, que les prix les plus élevés pour Chardin ont été enregistrés. « Ses œuvres ont un côté très moderne et poétique qui plaît beaucoup actuellement », considère Nicolas Joly. Hormis pour Le Melon et Les Fraises, les natures mortes ont été adjugées entre 300 000 et autour de 2 millions d’euros (à l’instar de Plateau de pêches avec bocal, vendu 2,1 M€ en 2015 à Drouot). Concernant les scènes de genre – qui sont davantage prisées –, le prix le plus élevé a été obtenu en 2021 avec La Fontaine, toujours chez Christie’s Paris.