LYON
On présente toujours Paris comme la capitale de la photographie. Or vous avez choisi voilà vingt-cinq ans d’ouvrir une galerie dédiée à la photo à Lyon. Pourquoi ce choix et quel bilan faites-vous de cette décentralisation ?
En Allemagne, personne ne se pose la question d’être à Bonn ou à Munich, mais en France, ne pas être basé à Paris semble toujours étonnant. Voilà vingt-cinq ans, la première institution pour la photo, la Fondation nationale de la photographie, se trouvait à Lyon. Elle avait une position classique, le reportage dominant alors la photographie. Or nous voulions que la photographie soit reconnue comme un terrain de pensée esthétique et théorique. En réaction, nous avons monté une galerie. À l’époque, il y avait peu d’exemples, ce qui nous a permis d’inventer. Être à Lyon aujourd’hui, c’est aussi pénalisant que profitable. Nous devons nous rendre sans arrêt à Paris, puisque les décideurs s’y trouvent. Les trajets en camion pour déposer les œuvres lors des commissions des institutions parisiennes coûtent cher. En revanche, contrairement à ce que pensent beaucoup de gens, il y a des collectionneurs en province. Ce qui nous a aidés dans les moments de doute, c’est que le public nous suit. Les collectionneurs parisiens sont moins fidèles, alors que les lyonnais soutiennent une « famille ». Ils nous demandent parfois de trouver pour eux des pièces chez nos confrères. Il y a une vraie empathie et nous faisons cas de tous les amateurs sans critères d’économie.
Les Français sont réputés réfractaires au multiple. Qu’en est-il avec la photographie ?
Ils ont effectivement du mal. Nous avons pris l’habitude de dire que la photographie est un multiple unique. Une photo, ce n’est pas une reproduction, mais un tirage. Les gens exigent de la photo ce qu’ils ne demandent pas à la peinture. Quand on fait remarquer aux collectionneurs que des Warhol, Kline ont beaucoup décliné [à partir d’un modèle initial], cela sème le trouble. Ils ont joué sur de légères variantes, mais c’est accepté parce que c’est du « fait main ». Le marché de l’art contemporain a aussi instauré des diktats économiques comme la numérotation. Depuis quelques années, il est plus dur de vendre un William Klein à 3 000 euros, les tirages ne sont pas numérotés. Certains acheteurs veulent soit du vintage, mais c’est dix à vingt fois plus cher, soit du numéroté, ce que des artistes comme William Klein, Denis Roche, Bernard Plossu n’ont jamais fait.
Que vous inspire l’envolée des prix de la photographie et quelle influence produit-elle sur votre activité ?
Cette spéculation est nuisible pour la photographie, car elle décourage les nouveaux arrivants. A contrario, elle a conforté certains collectionneurs dans le fait d’acheter chez nous. L’envolée a eu peu d’incidence sur les prix que nous pratiquons. Il existe encore une poche de résistance d’amateurs qui n’attendent pas de retour sur investissement ! Si des photographes comme Klein ou Roche travaillent avec nous depuis quinze ans, ce n’est pas un hasard. Nous avons construit des relations qui ne relèvent pas seulement de l’économie, mais aussi du respect.
Pourquoi, alors que vous êtes la seule galerie de photo exclusivement contemporaine en France, n’êtes-vous pas davantage inscrits dans le milieu de l’art contemporain ?
Ce milieu-là ne nous apprécie guère. Nous sommes décalés, nos artistes et notre mode de fonctionnement échappent aux codes. Nous ne sommes pas une galerie dans le sens du marché, et nous travaillons avec des artistes qui ne le sont pas plus. L’art contemporain se limite pour beaucoup de gens à un réseau de trois cents galeries labellisées par ceux qui ne regardent qu’avec leurs oreilles ou avec le baromètre économique. Bien que contemporaine, la photographie que nous montrons ne se trouve pas dans la codification actuelle de la contemporanéité. Nous avons aussi refusé de choisir un camp, « photo-photo » ou « photo plasticienne », ce qui dérange. La photo reste encore un médium off, mais c’est aussi par cela qu’elle existe. Chaque fois qu’on veut la menotter, elle se libère. L’art contemporain a voulu lui enlever le mystère, le danger, mais ses codes sont inopérants. La photo est grand public, tout le monde la pratique, elle semble facile d’accès. Pourtant, elle réveille les notions de temps et de mort et touche ainsi à des questions métaphysiques.
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Catherine Derioz et Jacques Damez, directeurs de la galerie Le Réverbère, Lyon
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°243 du 22 septembre 2006, avec le titre suivant : Catherine Derioz et Jacques Damez, directeurs de la galerie Le Réverbère, Lyon